Fake news et élections.
Nous publions un article de l’UCL du 13 mai sur une question déterminante de la lutte pour le mode pensée : la lutte pour la vérité des informations.
Régulièrement, la notion de fake new vient sur le devant de
la scène. Plus aucun événement, plus aucune catastrophe humaine ne se
produit sans qu’un florilège d’interprétations douteuses ou farfelues
affluent dans son sillage.
Interpréter de travers, commettre une
erreur de bonne foi, même si celle-ci peut prêter le flanc à des
thèses, cela forme un aspect de la question. Lorsque, sur une vidéo de
l’incendie de Notre-Dame, un observateur zélé repère une silhouette
qu’il juge suspecte, et en fait part, c’est une chose.
Lorsqu’une personne, déjà convaincue par des thèses conspirationniste, retransmet cette vidéo avec des termes insidieux tels que « on nous cache des choses » ou « comme par hasard », cela reste dans la même gamme d’erreur.
Comme nous le mentionnions dans notre article sur Notre-Dame, nous sommes aisément vulnérables aux conceptions complotistes. Dans un article, Science et Avenir nous expose ainsi certaines raisons de cette vulnérabilité :
4 raisons de la rupture entre opinion publique et faits scientifiques selon le Pr Bronner
VIRALITE. La première condition pour convaincre, “c’est d’attirer l’attention”. Les contenus anxiogènes, surtout sur le thème de la santé, remplissent bien cet office.
MOTIVATION. Le Pr Bronner souligne une “asymétrie de motivation” entre les adeptes de la théorie du complot, qui se sentent porteurs d’une croyance, et les rationnalistes. “Les croyances font partie de notre identité, contrairement aux non-croyances”, explique le Pr Bronner. Les adeptes du complot, plus motivés, s’expriment beaucoup plus, se créant une visibilité “confondue par les indécis pour de la représentativité”.
PRESSION CONCURRENTIELLE. Devant la masse d’informations à traiter, le principe de précaution est largement avantagé car nous n’avons pas le temps de tout vérifier.
BIAIS DE CONFIRMATION. Ce biais cognitif désigne la tendance que nous avons tous à nous ouvrir plus facilement aux contenus qui trouvent déjà écho dans nos propres convictions qu’à ceux qui entraîneraient doutes et remise en question. Ce biais est amplifié d’une part par la masse d’informations disponibles, dans laquelle toute conviction peut trouver confirmation, ainsi que dans les algorithmes des sites internet qui nous proposent des contenus précisément basés sur ce qu’il a perçu de nos goûts.
Ce sont donc des phénomènes qui peuvent arriver, qui sont relativement logiques, bien qu’il faille, là aussi les combattre.
Mais, lorsque de fausses preuves sont créées de A à Z, dans un but
politique conscient, affirmé, pour générer des mensonges, des troubles,
des perturbations, là, un autre stade est atteint. Il s’agit du stade de
la falsification.
Créer des faux documents, de fausses
informations, générer des preuves mensongères pour appuyer un discours
politique existe de longue date. Cependant, avec le développement
d’internet, les légendes urbaines, les rumeurs, les canulars ont pris
une ampleur démesurée. La possibilité d’invention de faits, de
fabrication de preuves, de diffusion de celles-ci, explique que les fake news soient désormais omniprésentes. Omniprésentes et chaque jour plus ardues à déceler.
Les
nouvelles technologies, notamment l’utilisation de l’intelligence
artificielle à la place de la simple retouche d’image, rend la question
de la véracité des images, des vidéos et des sons davantage sujette à
question.
Les deepfakes constituent désormais une véritable
menace. Elles donnent la possibilité, d’une manière crédible, de faire
dire un discours inventé à une personne qui ne l’a jamais prononcé. Si
une analyse de la vidéo permet de voir le montage, les plus crédules ou
ceux qui voient ce qu’ils voudraient voir peuvent s’y laisser
prendre. Demain, les perfectionnements rendront même la différence entre
l’invention et la réalité indiscernable.
Ces possibilités nouvelles rendent la bataille pour la vérité toujours plus féroce.
À la suite de l’élection de Donald Trump, fin 2016, nous avions publié un court dossier nommé La guérilla informationnelle, le nouveau brouillard de guerre. Dans ce document, nous revenions sur les buts et sur les moyens de cette guérilla. Les fake news
profitent invariablement aux réactionnaires et aux fractions les plus
réactionnaires des bourgeois. Leurs conceptions idéologiques, leurs
« grands principes », entrent en contradiction avec la réalité.
Ils
ne peuvent prouver la réalité de leurs dires sur l’exploitation, alors
ils mentent. Ils ne peuvent justifier leurs attaques contre les droits
sociaux, alors ils mentent. Ils ne peuvent défendre scientifiquement
leurs thèses sur l’immigration, sur le « grand remplacement », alors ils
inventent des faits.
Ces mensonges sont orientés, la grande
majorité du temps, pour semer la division et la colère entre les parties
des masses populaires. Mais il arrive qu’une autre faction de la
bourgeoisie, que son pouvoir, soit pris pour cible par des
challengers. Alors la bourgeoisie fait appel à l’Etat pour statuer.
L’Etat, dans cette lutte, s’est lui-même placé comme arbitre. Des lois contre les fake news
ont été votées par le Parlement. Ainsi, entrée en application en avril
de cette année, la loi contre la « manipulation de l’information ». Elle
permet, trois mois avant des élections, au juge des référés de
suspendre la diffusion d’une information, et ce, en moins de 48h.
De quoi rassurer ? Pas tellement.
Premièrement, l’Etat n’est pas neutre dans son appréciation de la
réalité. L’Etat, émanation de la lutte des classes, n’est pas un objet
flottant, au-dessus des luttes sociales et politiques dans la société,
mais est, au contraire, un outil qui les appuie dans un certain sens. Il
est l’outil de la bourgeoisie pour maintenir et raffermir son ordre
injuste.
En second lieu, l’Etat, lui-même, est historiquement un grand pourvoyeur, ou un grand relayeur, de fake news. Pour
justifier la politique qu’il mène pour le compte de la
bourgeoisie. Pour justifier ses guerres. Pour justifier la
répression. La vérité est, elle aussi, une question tactique pour l’Etat
bourgeois. Au-dessus de l’importance des faits se trouve, d’une manière
primordiale, la question de l’intérêt d’Etat. Et cet intérêt d’Etat
est, en dernière instance, l’intérêt de la clique bourgeoise au pouvoir.
Alors
que nous approchons du 50e anniversaire du décès d’Ho Chi Minh, comment
ne pas penser au bombardement du port d’Haiphong, le 23 novembre 1946,
qui fut le point de départ de la guerre d’Indochine. Le gouvernement
français avait alors menti pour justifier la guerre.
Récemment, dans
la répression contre les mouvements sociaux, l’Etat a menti à propos
des manifestants entrés dans la Pitié-Salpêtrière. Aujourd’hui, le déni
des violences policières ne peut être caractérisé autrement que comme un
mensonge d’Etat.
Nous devrions donc leur faire confiance pour déterminer le vrai du faux et trancher ?
Discerner
le vrai du faux, sans parler de l’interprétation frauduleuse de
véritables résultats, rejoint une lutte pour l’éducation. Donner le plus
largement possible les clés qui permettent de déterminer ce qui est
vraisemblable et ce qui est invraisemblable est fondamental. Croiser les
sources, vérifier les informations, développer un esprit critique est
un combat. L’Etat le fait-il ? Non.
Marx écrivait :
« Absolument à rejeter, c’est une “éducation populaire par l’Etat”. Déterminer par une loi générale les ressources des écoles primaires, la qualification du personnel enseignant, les disciplines enseignées, ect., et – comme cela se fait aux Etats-Unis – faire surveiller par des inspecteurs d’Etat l’exécution de ces prescriptions légales, voilà qui est tout à fait autre chose que de faire de l’Etat l’éducateur du peuple ! Bien au contraire, il faut, au même titre, refuser au gouvernement et à l’Eglise toute influence sur l’école. […] c’est, au contraire, l’Etat qui a besoin d’une éducation bien rude, administrée par le peuple. »
Cela ne vise pas à jeter l’opprobre sur le corps des enseignants,
qui, dans la très grande majorité des cas, tente comme il peut de
fournir des clés d’analyse aux élèves, mais bien sur l’institution d’une
manière générale, sur ses buts et sur ses moyens. L’Éducation Nationale
n’est pas encore mise au pas, sa capacité de lutte interne fait qu’elle
n’est pas un rouage docile, mais que ceux qui la constituent essaient
avec sincérité de travailler à dispenser de véritables outils
d’analyse.
Pour autant, l’utilisation de l’Éducation Nationale
comme outil de propagande et d’endoctrinement n’est plus à
démontrer. L’utilisation de l’enseignement de l’Histoire comme outil
pour justifier les politiques actuelles l’illustre. Elle sert également,
sans d’ailleurs lésiner sur les raccourcis, les escamotages ou les
inventions, à dénigrer le mouvement anti-impérialiste, le mouvement
ouvrier ou révolutionnaire. Depuis 2015, le retour de la « morale » dans
l’enseignement illustre le fait que les gouvernements successifs
bataillent pour accroître leur influence directe.
De même, la mise en place de la loi sur « l’école de la confiance »
va également dans cette voie : l’indépendance pédagogique et la liberté
de critique des enseignants, concédée à une époque où les rapports de
force étaient plus favorables aux masses populaires, sont en passe
d’être réduite à néant.
Nous pensons que nous ne pouvons pas
nous fier à l’Etat bourgeois pour défendre une éducation critique et
populaire. Nous pensons que nous ne pouvons pas nous fier aux
institutions et à leurs ordres pour permettre d’acquérir les véritables
clés de compréhension du monde actuel.
Nous soutenons les
enseignants et les enseignantes qui le font, à leur échelle. Mais nous
pensons que nous avons également un rôle à jouer dans la diffusion
d’analyses, d’approches historiographiques, de moyens méthodologiques
pour permettre que la jeunesse ne voie pas son esprit critique asséché,
drainé, par les offensives réactionnaires organisées par les
gouvernements successifs.
Nous refusons que la Vérité absolue
puisse être édictée par un appareil d’Etat, à la fois juge et partie
dans les affaires politiques. Nous pensons que nous devons nous-même,
auprès des masses et contre la propagande bourgeoise, mener la
lutte. Car nous pensons que la vérité sur l’exploitation, l’aliénation,
le capitalisme et l’impérialisme est révolutionnaire.
Nous, communistes, regardons le développement des fake news
comme une menace réelle et concrète. Nous nous plaçons au service des
masses populaires et du peuple. C’est l’analyse de la réalité et sa
retranscription politique qui doivent guider nos actions. Devoir tromper
le peuple sur sa situation indiquerait que nous aurions franchi une
ligne rouge. Nos intérêts et les intérêts populaires ne font qu’un.
Luttons
par nos moyens contre le développement des rumeurs, par le fait de
proposer des analyses justes et scientifiquement établies !
Luttons contre l’immixtion de l’Etat dans la notion de vérité !
Dénonçons les mensonges des bourgeois et des fascistes !