Avertissement: nous nous excusons auprès de nos lecteurs et militants nous avons eu de gros problèmes de transmission de nos Newsletter hebdomadaires. Nous pensons les avoir résolus. Nous verrons à l’expérience.
Notre point de vue sur cet article : C’est une bonne enquête qui s’appuie sur des faits concrets et incontestables. Elle démontre que les choix politiques ne sont pas faits selon les besoins des populations mais selon les intérêts des monopoles de l’agro-industrie. Ce qui préside au choix politiques c’est la recherche du profit maximum pour une poignées de gros agrariens qui représente un secteur du capital financier. Seule un politique basée sur l’intérêt des masses populaires locales, nationales et internationales, dirigée par des États socialistes, pourrait inverser la politique actuelle dite «libérale ». Ce qui pose la nécessité de la révolution sociale internationale pour rompre avec la logique capitaliste. La question de la nature et du rôle de l’État aujourd’hui sera davantage posée dans l’article à venir (2ème partie).
Profits, export et grandes cultures : les vraies raisons des mégabassines (1ère partie)
La mégabassine de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, en novembre 2023. – © Jean-Jacques Guillet/Bassine non merci
Liens étroits avec les exploitations céréalières, export à l’international via le port de La Rochelle… Des documents exclusifs sur les mégabassines des Deux-Sèvres montrent que celles-ci ne défendent en rien une agriculture locale.
• Cette enquête a été réalisée en collaboration avec le média Off Investigation. Elle est diffusée en partenariat avec l’émission La Terre au carré, de Mathieu Vidard, sur France Inter.
La mégabassine de Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres) se dresse sur la plaine poitevine comme un château fort en place de château d’eau. Au-dessus des 2 mètres de talus, une première rangée de grillages surmontés de fils barbelés, un fossé puis une seconde clôture au sommet coupant dont les angles sont coiffés de caméras balayant la D101 qui relie Val-du-Mignon à la nationale. Une surveillance qui ne laisse rien passer : lors de notre visite le 27 novembre dernier, une camionnette de gendarmerie a rejoint notre stationnement devant le portail moins de cinq minutes après notre arrivée pour contrôler notre identité.
Nous sommes loin des promesses du « projet de territoire du bassin de la Sèvre–niortaise — Marais poitevin » qui a initié le projet des retenues d’eau, popularisées depuis sous le nom de « mégabassines ».
La démarche devait proposer un modèle agricole plus respectueux des milieux et des habitants. Elle s’est muée en une « guerre de l’eau », avec la boue des Deux-Sèvres pour tranchées, des procès en série et une violence institutionnelle et politique culminant aux abords du chantier de Sainte-Soline, le 25 mars 2023 : le déploiement hors de proportion des forces de sécurité et l’usage indiscriminé d’armes de guerre avait blessé, parfois gravement, des centaines d’opposants et opposantes pacifiques. Mais quel projet agricole a-t-on ainsi défendu ?
Notre enquête met à mal les arguments des partisans des mégabassines qui disent défendre une agriculture locale visant à maintenir l’élevage. L’analyse de données administratives, agricoles et économiques montre un lien étroit entre les projets de bassines et une filière céréalière omniprésente dans la région, majoritairement tournée vers le marché international via le port céréalier de La Rochelle, en Charente-Maritime.
© Louise Allain / Reporterre
À chaque occasion de communiquer, les membres de la Coopérative de l’eau 79, maître d’ouvrage des bassines, montrent des veaux aux yeux tendres, rieuses biquettes et placides laitières. Que ce soit pour un article sur l’usage de l’eau de la mégabassine de Mauzé-sur-le-Mignon ou lors du procès de neuf militants antibassines à Niort le 28 novembre dernier, les responsables du projet appellent systématiquement des éleveurs pour témoigner. Une façon de s’inscrire dans une histoire agricole locale dont se font encore écho certaines appellations d’origine contrôlée (AOP) — Surgères, en Charente-Maritime, baratte son beurre réputé non loin.
La liste complète des exploitants raccordés n’a jamais été fournie. Le seul document faisant référence en la matière est l’arrêté préfectoral du 20 juillet 2020 par le préfet des Deux-Sèvres. Tenant compte du protocole et du jugement au tribunal administratif de Poitiers du 27 mai 2021, ce document liste en annexe 4 les points de prélèvement des exploitations raccordées aux seize bassines autorisées. Pas de nom d’entreprise agricole ici, mais des numéros « BSS », soit les identifiants des ouvrages souterrains d’adduction d’eau. Pour obtenir une liste des entreprises, nous avons croisé ces données avec la liste des prélèvements d’eau établie par l’Organisme unique de gestion de l’eau (OUGC) que Reporterre a pu se procurer.
Les principales exploitations intéressées par les mégabassines sont les grandes céréalières
À partir des 179 numéros de BSS relevés sur l’arrêté, nous avons pu identifier soixante entreprises agricoles irrigantes. La base Sirene de l’Insee, recensant l’intégralité des entreprises françaises, nous a permis de lister les activités principales de ces sociétés. Le décompte est sans appel : trente-deux affichent la « culture de céréales » comme activité principale, quatorze « culture et élevage associés », six « élevages de vaches laitières » suivent, trois « élevages bovins », autant élevant ovins et caprins et deux « élevages de volailles ». Autrement dit, la majorité des exploitations intéressées sont les grandes céréalières.
Et d’autant plus que les « culture et élevage associés » en font le plus souvent partie, comme le note un adhérent local de la Confédération paysanne sous anonymat : « Souvent, quand un agriculteur du coin déclare des cultures associées, c’est beaucoup de céréales et quelques animaux. »
Cette place majoritaire des céréales n’a rien de surprenant dans la région. Mené par l’agglomération de Niort, où se situe la majeure partie des bassines, et la communauté de communes Haut Val de Sèvre voisine, le projet alimentaire territorial (PAT) visant à rendre les capacités agricoles du territoire plus proches des besoins des populations locales a établi un diagnostic éloquent : les céréales et oléoprotéagineux (tournesol, colza, pois, etc.) occupent 79 % de la surface agricole utile.
Un paysage jaune-vert-brun (blé-épis de maïs-tournesol), fruit d’une transformation longue et profonde. « Les recensements agricoles entre 1970 et 2020 permettent de constater un retournement des prairies au profit des grandes cultures », dit Emmanuel Martin, de la direction régionale des affaires agricoles et forestières (Draaf) Nouvelle-Aquitaine. En 2020, la seule ancienne région Poitou-Charentes produisait 10,5 millions de tonnes de céréales. Mais qu’advient-il de ces montagnes de grains ?
Le grenier du port de La Rochelle
19 octobre, 5 h 25, gare de La Rochelle. Le quai 1 est bordé par un mur de plusieurs centaines de mètres de wagons bleus nuit. Frappés du logo de la société de transport ferroviaire VTG, ils patientent avant d’en rejoindre d’autres, dont bon nombre sont siglés Soufflet, sur un axe ferroviaire dédié traversant la Ville blanche d’est en ouest. À qui serait tenté de jeter un œil, des panneaux mettent en garde : « Accès réglementé : limites portuaires de sûreté. » Car nous sommes déjà dans le port.
D’après le numéro de février 2023 du magazine édité par le port, L’Escale Atlantique, 12,8 % des marchandises du port de La Rochelle transitent ainsi par le rail, le reste par la route. Pour qui s’intéresse aux produits exportés, le pluriel est superflu : « Pas d’autre marchandise à l’export que les céréales », confirme à Reporterre le service communication du port. Leur provenance demeure floue : dans les documents fournis, la zone d’approvisionnement pour les céréales (ou « hinterland ») couvre tout l’ouest de la France jusqu’à Orléans, à l’exception de la Bretagne et de la Normandie ! Les services des douanes ne nous ont pas donné plus de précisions.
70 % des céréales de l’ancienne Poitou-Charentes sont exportées par La Rochelle