19 avril 2024

Lénine : le socialisme et la guerre

« Le socialisme et la guerre » est écrit en 1915 par Lénine en pleine guerre mondiale. Suivent ci-dessous des extraits d’un article (Tome 21 des Œuvres complètes) que l’on peut trouver sur le site : « marxists.org ».

A cette époque « socialistes ou social-démocrates » se réclament du marxisme. Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale et la trahison ouverte des socialistes ou sociaux-démocrates que les marxistes s’appelleront « communistes ».

Les thèses que défend Lénine ici sont devenues des principes, des vérités premières — c’est à dire qu’elles ont été validées par l’expérience. Toutefois, l’histoire, qui est en mouvement constant, doit nous amener à constamment réfléchir et comprendre les changements qui se produisent pour ne pas tomber dans le dogmatisme.

C’est pourquoi cet article doit nous aider à clarifier la situation actuelle : d’un côté nous avons les « va-t’en guerre » (style Macron et son gouvernement), de l’autre des opportunistes qui en arrivent à justifier l’agression Russe (là ils sont nombreux et qui se réclame du léninisme), citons : »Rassemblement Communiste », « Pôle de Rassemblement Communiste de France », etc . Comme nous l’avons à maintes reprises démontré, les deux camps, celui des USA-OTAN-UE et celui de la bourgeoisie russe (représentée par Poutine), visent au repartage du monde, à la domination et non à la libération du peuple Ukrainien.

LÉNINE :

Les principes du socialisme et la guerre de 1914-1915


L’attitude des socialistes à l’égard des guerres

Les socialistes ont toujours condamné les guerres entre peuples comme une entreprise barbare et bestiale. Mais notre attitude à l’égard de la guerre est foncièrement différente de celle des pacifistes (partisans et propagandistes de la paix) bourgeois et des anarchistes. Nous nous distinguons des premiers en ce sens que nous comprenons le lien inévitable qui rattache les guerres à la lutte des classes à l’intérieur du pays, que nous comprenons qu’il est impossible de supprimer les guerres sans supprimer les classes et sans instaurer le socialisme; et aussi en ce sens que nous reconnaissons parfaitement la légitimité, le caractère progressiste et la nécessité des guerres civiles, c’est à dire des guerres de la classe opprimée contre celle qui l’opprime, des esclaves contre les propriétaires d’esclaves, des paysans serfs contre les seigneurs terriens, des ouvriers salariés contre la bourgeoisie. Nous autres, marxistes, différons des pacifistes aussi bien que des anarchistes en ce sens que nous reconnaissons la nécessité d’analyser historiquement (du point de vue du matérialisme dialectique de Marx) chaque guerre prise à part. L’histoire a connu maintes guerres qui, malgré les horreurs, les atrocités, les calamités et les souffrances qu’elles comportent inévitablement, furent progressives, c’est à dire utiles au développement de l’humanité en aidant à détruire des institutions particulièrement nuisibles et réactionnaires (par exemple, l’autocratie ou le servage) et les despotismes les plus barbares d’Europe (turc et russe). Aussi importe t il d’examiner les particularités historiques de la guerre actuelle.

Les types historiques des guerres modernes

La grande révolution française a inauguré une nouvelle époque dans l’histoire de l’humanité. Depuis lors et jusqu’à la Commune de Paris, de 1789 à 1871, les guerres de libération nationale, à caractère progressif bourgeois, constituèrent l’un des types de guerres. Autrement dit, le contenu principal et la portée historique de ces guerres étaient le renversement de l’absolutisme et du système féodal, leur ébranlement, l’abolition du joug étranger. C’étaient là, par conséquent, des guerres progressives; aussi tous les démocrates honnêtes, révolutionnaires, de même que tous les socialistes, ont toujours souhaité, dans les guerres de ce genre, le succès du pays (c’est-à dire de la bourgeoisie) qui contribuait à renverser ou à saper les bastions les plus dangereux du régime féodal, de l’absolutisme et de l’oppression exercée sur les peuples étrangers. Ainsi, dans les guerres révolutionnaires de la France, il y avait un élément de pillage et de conquête des terres d’autrui par les Français; mais cela ne change rien à la portée historique essentielle de ces guerres qui démolissaient et ébranlaient le régime féodal et l’absolutisme de toute la vieille Europe, de l’Europe du servage. Dans la guerre franco allemande, l’Allemagne a dépouillé la France, mais cela ne change rien à la signification historique fondamentale de cette guerre, qui a affranchi des dizaines de millions d’Allemands du morcellement féodal et de l’oppression exercée sur eux par deux despotes, le tsar russe et Napoléon III

La différence entre guerre offensive et guerre défensive

L’époque de 1789 1871 a laissé des traces profondes et des souvenirs révolutionnaires. Avant le renversement du régime féodal, de l’absolutisme et du joug national étranger, il ne pouvait absolument pas être question de voir se développer la lutte du prolétariat pour le socialisme. Parlant du caractère légitime de la guerre “ défensive ” à propos des guerres de cette époque, les socialistes ont toujours eu en vue, très précisément, ces objectifs qui se ramènent à la révolution contre le régime médiéval et le servage. Les socialistes ont toujours entendu par guerre “ défensive ” une guerre “ juste ” dans ce sens (comme a dit exactement un jour W. Liebknecht). C’est seulement dans ce sens que les socialistes reconnaissaient et continuent de reconnaître le caractère légitime, progressiste, juste, de la “ défense de la patrie ” ou d’une guerre “ défensive ”. Par exemple, si demain le Maroc déclarait la guerre à la France, l’Inde à l’Angleterre, la Perse ou la Chine à la Russie, etc., ce seraient des guerres “ justes ”, “ défensives ”, quel que soit celui qui commence, et tout socialiste appellerait de ses vœux la victoire des États opprimés , dépendants, lésés dans leurs droits, sur les “ grandes ” puissances oppressives, esclavagistes, spoliatrices.

Mais imaginez qu’un propriétaire de 100 esclaves fasse la guerre à un autre propriétaire qui en possède 200, pour un plus “ juste ” partage des esclaves. Il est évident qu’appliquer à un tel cas la notion de guerre “ défensive ” ou de “ défense de la patrie ” serait falsifier l’histoire; ce serait, pratiquement, une mystification des simples gens, de la petite bourgeoisie, des gens ignorants, par d’habiles esclavagistes. C’est ainsi qu’aujourd’hui la bourgeoisie impérialiste trompe les peuples au moyen de l’idéologie  “ nationale ” et de la notion de défense de la patrie dans la guerre actuelle entre esclavagistes, qui a pour enjeu l’aggravation et le renforcement de l’esclavage.

La guerre actuelle est une guerre impérialiste

Presque tout le monde reconnaît que la guerre actuelle est une guerre impérialiste, mais le plus souvent on déforme cette notion, ou bien on l’applique unilatéralement, ou bien on insinue que cette guerre pourrait avoir une portée progressiste bourgeoise, de libération nationale. L’impérialisme est le degré supérieur du développement du capitalisme, que celui ci n’a atteint qu’au XX° siècle. Le capitalisme se sent désormais à l’étroit dans les vieux États nationaux sans la formation desquels il n’aurait pu renverser le régime féodal. Le capitalisme a développé a concentration au point que des industries entières ont été accaparées par les syndicats patronaux, les trusts, les associations de capitalistes milliardaires, et que presque tout le globe a été partagé entre ces “ potentats du capital ”, sous forme de colonies ou en enserrant les pays étrangers dans les filets de l’exploitation financière. A la liberté du commerce et de la concurrence se sont substituées les tendances au monopole, à la conquête de terres pour y investir les capitaux, pour en importer des matières premières, etc. De libérateur des nations que fut le capitalisme dans la lutte contre le régime féodal, le capitalisme impérialiste est devenu le plus grand oppresseur des nations. Ancien facteur de progrès, le capitalisme est devenu réactionnaire; il a développé les forces productives au point que l’humanité n’a plus qu’à passer au socialisme, ou bien à subir durant des années, et même des dizaines d’années, la lutte armée des “ grandes ” puissances pour le maintien artificiel du capitalisme à l’aide de colonies, de monopoles, de privilèges et d’oppressions nationales de toute nature.

“ La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ” (à savoir : par la violence)

Cette sentence célèbre appartient à Clausewitz, l’un des auteurs les plus pénétrants en matière militaire. Les marxistes ont toujours considéré avec juste raison cette thèse comme la base théorique de l’interprétation de chaque guerre donnée. C’est de ce point de vue que Marx et Engels ont toujours envisagé les différentes guerres.

Appliquez ce point de vue à la guerre actuelle. Vous verrez que, durant des dizaines d’années, pendant près d’un demi siècle, les gouvernements et les classes dirigeantes d’Angleterre, de France, d’Allemagne, d’Italie, d’Autriche et de Russie ont pratiqué une politique de pillage des colonies, d’oppression de nations étrangères, d’écrasement du mouvement ouvrier. C’est cette politique, et nulle autre, qui se poursuit dans la guerre actuelle. En Autriche et en Russie notamment, la politique du temps de paix, consiste, comme celle du temps de guerre, à asservir les nations et non à les affranchir. Au contraire, en Chine, en Perse, dans l’Inde et les autres pays dépendants, nous assistons durant ces dernières dizaines d’années à une politique d’éveil à la vie nationale de dizaines et de centaines de millions d’hommes, à une politique tendant à les libérer du joug des “ grandes ” puissances réactionnaires. La guerre sur ce terrain historique peut être aujourd’hui encore une guerre progressive bourgeoise, une guerre de libération nationale.

Il suffit de considérer que la guerre actuelle continue la politique des  “ grandes ” puissances et des classes fondamentales qui les constituent pour constater aussitôt le caractère manifestement anti-historique, mensonger et hypocrite de l’opinion selon laquelle il serait possible, dans la guerre actuelle, de justifier l’idée de la “ défense de la patrie ”.

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Pourquoi la Russie fait-elle la guerre ?

En Russie, l’impérialisme capitaliste du type moderne s’est pleinement révélé dans la politique du tsarisme à l’égard de la Perse, de la Mandchourie, de la Mongolie; mais ce qui, d’une façon générale, prédomine en Russie, c’est l’impérialisme militaire et féodal. Nulle part au monde la majorité de la population du pays n’est aussi opprimée : les Grands Russes ne forment que 43% de la population, c’est à dire moins de la moitié, et tous les autres habitants sont privés de droits, en tant qu’allogènes. Sur les 170 millions d’habitants de la Russie, près de 100 millions sont asservis et privés de droits. Le tsarisme fait la guerre pour s’emparer de la Galicie et étrangler définitivement la liberté des Ukrainiens, pour conquérir l’Arménie, Constantinople, etc. Le tsarisme voit dans la guerre un moyen de détourner l’attention du mécontentement qui s’accroît à l’intérieur du pays et d’écraser le mouvement révolutionnaire grandissant. Aujourd’hui, pour deux Grands-Russes, on compte en Russie deux ou trois “ allogènes ” privés de droits : le tsarisme s’efforce, au moyen de la guerre, d’augmenter le nombre des nations opprimées par Russie, d’accentuer leur oppression et de faire ainsi échec à la lutte pour la liberté que mènent les Grand-Russes eux mêmes. La possibilité d’asservir et de piller les autres peuples aggrave le marasme économique, car il arrive souvent que la source des revenus soit moins le développement des forces productives que l’exploitation semi féodale des “ allogènes ”. Ainsi, du côté de la Russie, la guerre porte un caractère foncièrement réactionnaire et hostile aux mouvements de libération.

Qu’est-ce que le social chauvinisme ?

Le social chauvinisme, c’est la “ défense de la patrie ” dans la guerre actuelle. De cette position découlent, par voie de conséquence, la renonciation à la lutte de classe pendant la guerre, le vote des crédits militaires, etc. Les social chauvins pratiquent en fait une politique antiprolétarienne, bourgeoise, car ils préconisent en réalité, non pas la “ défense de la patrie ” au sens de la lutte contre l’oppression étrangère, mais le “ droit ” de telles ou telles “ grandes ” puissances à piller les colonies et à opprimer d’autres peuples. Les social chauvins reprennent à leur compte la mystification du peuple par la bourgeoisie, selon laquelle la guerre serait menée pour la défense de la liberté et de l’existence des nations, et se rangent ainsi aux côtés de la bourgeoisie contre le prolétariat. Sont des social chauvins aussi bien ceux qui justifient et exaltent les gouvernements et la bourgeoisie d’un des groupes des puissances belligérantes que ceux qui, à l’instar de Kautsky, reconnaissent aux socialistes de toutes les puissances belligérantes un droit identique à la “ défense de la patrie ”. Le social chauvinisme, qui prône en fait la défense des privilèges, des avantages, des pillages et violences de “ sa propre ” bourgeoisie impérialiste (ou de toute bourgeoisie, en général), constitue une trahison pleine et entière de toutes les convictions socialistes et de la résolution du Congrès socialiste international de Bâle.

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