5 février 2025

Bernard Arnault a raison : le capitalisme est condamné

Par Jacques Lancier

Bernard Arnault a dénoncé la (petite) augmentation des impôts sur les entreprises, envisagée par le gouvernement Bayrou, car il s’agit d’une « taxe sur le made in France… qui pousse à la délocalisation… Je reviens des USA et j’ai pu voir le vent d’optimisme qui régnait dans ce pays. Et quand on revient en France, c’est un peu la douche froide ».

À l’investiture de Trump où il était au premier rang, avec les patrons du capitalisme américain, en particulier de la Bigtech, Bernard Arnault a effectivement pu constater leur enthousiasme. A partir du moment où la cupidité, l’accumulation des richesses, est le moteur des décisions et le seul, il est logique d’investir là où le minimum fiscal est imposé. Au même moment le rassemblement de Davos révélait que les préoccupations de durabilité, de diversité, d’écologie etc. les critères ESG, RSE, DEI, n’étaient qu’un vernis dont les dirigeants capitalistes estiment n’avoir plus besoin. Les pays doivent être dirigés comme des entreprises disent-ils, ce qui signifie que l’idée un humain = un vote n’a plus cours. Dans les entreprises les dirigeants savent mieux que les employés ce qu’il faut faire. Cette conception est renforcée par celle des dirigeants des Bigtechs qui veulent faire croire que leur techno c’est de la science pure, qu’elle s’impose donc à tous, que eux seuls la représentent, et qu’elle ne relève donc pas de la discussion démocratique. Outre ce rejet assumé de la démocratie, leurs intérêts exigent une énergie bon marché au détriment de tout souci écologique, « drill baby drill » « fore bébé, fore » proclame Trump.

D’où vient cette richesse que Bernard Arnault menace d’aller concentrer aux États-Unis ? du travail de millions d’ouvriers et d’employés. Pour que cette richesse soit concentrée entre un nombre restreint de milliardaires, bientôt 5 à 10 trillionaires, non seulement il faut assumer le rejet des principes démocratiques et écologiques, mais il faut aussi maintenir cette main d’œuvre en état d’être exploitée. Les salaires des travailleurs sont-ils suffisants pour vivre compte tenu de l’inflation ?

C’est pourquoi Trump veut forer à tout prix en espérant que la baisse du prix de l’énergie contienne l’inflation. C’est pourquoi aussi il s’en prend au patron de la FED Jerôme Powell qui refuse de baisser les taux d’intérêts. Car la politique de Trump, qui plaît tant à Bernard Arnault a ses contradictions : la lutte contre l’immigration va contribuer à la hausse des prix, les barrières douanières aussi. Cette politique de cupidité crue, de moins disant fiscal, s’exerce vis-à-vis des travailleurs (les services publics sont dégradés par la baisse des impôts), bien sûr vis-à-vis des adversaires, mais aussi des alliés, on leur applique des droits de douane (qui constituent « une taxe sur le made in France » qui ne gêne pas Bernard Arnault) et on leur pique le Groenland. Cette politique concentre certes les richesses chez les oligarques basés aux Etats-Unis mais elle fait face à des contradictions de fond : d’où vient les richesses produites ? si ce n’est des travailleurs / consommateurs dans tous les pays du monde, et le patron de LVMH est bien placé pour le savoir. Elle fait et fera face aussi à des contradictions plus inattendues, telle que la petite société chinoise Deepseek qui prouve que les 500 milliards annoncés par Donald Trump et les Bigtechs pour développer l’IA n’en permet pas le leadership.

Mais surtout cette politique de cupidité à courte vue, en récusant la démocratie, les préoccupations écologiques, en s’opposant au monde entier, réduit la base sociale et donc politique à terme du soutien au capitalisme. Cette politique crûment cupide annonce des moments difficiles pour tous mais en même temps la fin d’un système. Pour éviter la douche froide Bernard Arnault pourrait bien récolter une douche glacée.

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