20 avril 2024

Débats: Luttes syndicales et luttes politiques

Débats et Polémiques

Luttes syndicales et luttes politiques : dialogue avec un camarade.

Ce dialogue vient à point. Puissants mouvements sociaux contre le gouvernement, après de multiples escarmouches sur la question des salaires et de l’emploi sur tout le territoire. Préparation de Congrès syndicaux. Publication de revues et de prises de positions… Tout cela engendre de fortes agitations autour de la tactique et de la stratégie syndicale. Nous avons publié le 20 janvier 2023 un article de V.I.Lénine « A propos des grèves en cours » (https://upml.org/2023/01/4691/) datant de 1899 qui conserve toute son actualité et introduit nos débats. C’est pourquoi l’échange avec un camarade qui traite de ses expériences, réflexions et conclusions sur le syndicalisme vient à point. Une question émerge : peut-on les séparer de la lutte politique, de la lutte pour le Parti ?

(nous mettons entre guillemets et en italique les propos du camarade.)

« L’ORGANISATION SYNDICALE DANS LES LUTTES ACTUELLES

La crise économique d’une ampleur historique amène a un nombre incalculable de plan de suppressions d’emplois dans les usines et les entreprises. Des centaines, voir des milliers de PSE depuis 2 ans. A cela s’ajoute des baisses de salaires via les dispositifs permis par Macron comme les APC (accords de performances collectives) qui se font aux travers de leurs « dialogues sociaux ». »

Ton analyse de la situation et de son évolution probable est très juste : nous devons aussi voir l’autre face : nous sommes entrés dans une nouvelle période de  lutte de classe dans le monde — c’est un grand défi. Sans compter qu’il y a de multiples crises internationales à mentionner et à prendre en compte à l’ère de la « mondialisation » qui engendre des protestations.

Sur ces bases resurgissent de forts mouvements spontanés et du spontanéisme  — alors plus que jamais soyons « réalistes ».

« Forcément, par cette multitude d’attaques locales entreprise par entreprise, la réaction ouvrière parait différente d’un endroit à l’autre…..

C’est ainsi que l’on voit des boites qui cherchent uniquement à négocier sans mobiliser, avec parfois spontanément les ouvriers qui débordent les syndicats, ailleurs des syndicats qui mènent la lutte soit pour la négociation de primes soit sur les questions de l’emploi. On peut voir des syndicats qui cherchent à étendre leurs luttes au-delà des grillages de leurs usines tandis que d’autres confinent leurs actions au comité social avec leur direction. Là, où ça se bagarre c’est essentiellement là où existe des syndicats de lutte de classe. »

A propos de syndicats de « lutte de classe ». Remarquons que tous les syndicalistes en lutte n’ont pas nécessairement une « conscience de classe » ; et c’est normal. Le passage de la « lutte » plus ou moins radicale à la conscience des intérêts de classe en jeux nécessite un travail de propagande et d’organisation politique. Ce que ne peut faire un syndicat de masse. La « lutte de classe » est une lutte politique antagonique entre le Capital, son État et la classe ouvrière et plus largement le prolétariat au niveau économique, politique, idéologique et militaire. Seul le Parti peut et doit la mener !

En ce qui concerne l’essor possible d’un mouvement ouvrier «spontané » …  Il faut en voir les aspects positifs et négatifs. La spontanéité du mouvement ouvrier ne part jamais de rien, il n’est pas une feuille blanche. Il est profondément marqué par l’idéologie bourgeoisie dominante, mais il intègre aussi la mémoire des luttes passés, il la redécouvre même. C’est sur cette base que le Parti de lutte de classe, communiste, devient indispensable, c’est lui essentiellement qui forge, sur la base du mouvement spontané, la conscience de classe qui se manifeste par des mots d’ordre, des orientations, des objectifs politiques (stratégie et tactique) qui combattent l’idéologie dominante – en s’appuyant sur les expériences déjà faites !

« Les syndicats ne regroupent pas toutes les forces du lieu de travail ?

L’organisation syndicale comme elle s’est construite ces dernières décennies se focalise sur une unité de travail à partir de salariés organiques en CDI…. Mais la précarisation de l’emploi et l’éclatement des grands sites de production à construit des sites d’emplois où l’on trouve des intérimaires, des sous-traitants, des « auto-entrepreneurs », etc. Le syndicat lui est resté sur une base des salariés organiques de la société mère excluant par-là les travailleurs précaires et sous-traitants, c’est dans le principe d’organisation du syndicat comme il est fait aujourd’hui qui l’en empêche…. »

Cette division entre fixes (CDI) et précaires ne serait selon toi qu’une conséquence du mode d’organisation du syndicat. Ne crois-tu pas que c’est plutôt et principalement une conception étroite et corporatiste qui en est l’obstacle. Nous avons l’expérience de plusieurs entreprises où les syndicalistes ont mis en avant les intérêts communs des travailleurs quelques soient leurs statuts : favorisant la syndicalisation de tous dans un même syndicat y compris les sous-traitants, etc. avec de bons résultats. C’est donc plus une question d’orientation, de ligne syndicale qu’une question de mode d’organisation. Il est évident que pour parvenir à l’unité de tous il faut faire un travail politique révélant les intérêts communs de tous.

« … Le morcellement des statuts, les différences de contrats, entre les CDI et les précaires ou avec les sous-traitants, peuvent empêcher un front uni pour la lutte contre la visée capitaliste pourtant nécessaire politiquement. »

C’est ça ce qu’il faut faire vivre :  la lutte d’ensemble contre l’exploitation devient alors une lutte politique, une lutte entre classes sociales ayant des intérêt divergents. Cette lutte exige d’être organisée à un autre niveau que syndical si l’on veut qu’elle soit permanente et non qu’elle retombe après une lutte. C’est toute l’importance de la préparation et de la construction du Parti.

« Dans la situation actuelle, celle d’une offensive sans précédent de la bourgeoisie… il faut que l’organisation syndicale réponde aux besoins de la lutte. C’est effectivement l’objectif politique du syndicat qui va dessiner son organisation. Si l’objectif du syndicat est la « négociation » ou le « dialogue social », l’organisation syndicale autour des seuls organiques d’un site de production, cela suffit sans chercher à mobiliser. Si l’objectif politique de notre syndicalisme, de classe, est de renverser la table pour changer de système, ce ne sont pas les organiques qui le feront seuls mais c’est bien la classe ouvrière dans toutes ses composantes qui va la faire, sous-traitants, intérimaires, CDI, parce que tous prolétaires au-delà des étiquettes fabriquées par le capitalisme lui-même.

Nous le répétons, l’organisation épouse le but et l’organisation (dans toutes ses dimensions : cotisation, discipline, formation politique, etc.) est indispensable ! »

Je reprendrais plutôt l’expression de « supprimer l’exploitation » ; « renverser la table » — c’est à dire la prise du pouvoir, la révolution —  c’est objectif des militants politiques dans le syndicat et  c’est l’objectif déclaré du Parti Révolutionnaire avec un programme et une ligne de plus en plus développée. Mais le syndicat doit rester « de masse » sur une ligne de lutte contre l’exploitation comme PREMIÈRE étape d’organisation et d’éducation des ouvriers à la lutte collective et organisée.

Pour les militants politiques dans les syndicats, le syndicat de masse doit être une école de la lutte de classe : discipline, première formation politique, etc… mais on a à combattre les idées réformistes, anars etc. A propager les idées du socialisme-communisme. Et, bien sûr le syndicat est aussi un lieu de confrontation de pratiques et d’idées.

Nous faisons face à un affaiblissement politique des appareils syndicaux

« Il n’y a pas uniquement la question des formes de l’organisation, et d’ailleurs, celle-ci, comme nous l’avons dit, découle des objectifs politiques que l’on se donne. Seulement, si l’on prend la confédération CGT, historiquement la plus contestataire, revendicative et radicale, sur des positions historiques de classe et de masse, elle abandonne congrès après congrès des positions stratégiques sur les fondamentaux de la lutte de classe. Abandon du principe du dépassement du système du salariat dans la lutte, adhésion au centrales internationales réformistes (CSI et CES), mise en avant de revendications incorporées au système capitaliste… le syndicalisme rassemblé qui affaiblit nos principes revendicatifs afin d’aller chercher l’unité des logos, etc. Tout cela en privilégiant systématiquement les démarches de négociations gouvernementales sans chercher à mobiliser énergiquement notre classe… »

Tout à fait juste : nous sommes confrontés à la domination dans la CGT d’une ligne opportuniste, réformiste. Opportunisme qui évolue et prend des formes différentes selon la combativité ouvrière ; l’opportunisme sait s’adapter. C’est le reflet du réformisme largement dominant dans la société – mais qui est en crise profonde !! Et pour cause première le patronat ne veut, ni ne peut distribuer quelques miettes pour calmer les exigences ouvrières. L’évolution de la situation doit donc nous aider à reconquérir le syndicalisme à la lutte de masse contre le patronat. Et là, la question de la reconstruction d’un Parti prolétarien est indispensable et même le maillon principal à saisir pour rendre consciente et développer la lutte politique !

 

« Face à ce constat monte parmi nous une tendance à tout rejeter en bloc. Puisque la CGT ou le syndicalisme en général serait gangrené par la bureaucratie et la collaboration, sans nuance, sans analyser les rapports de forces politiques en leur sein, mettons tout à la poubelle. Or, ce n’est pas le syndicalisme par nature qu’il faut condamner mais la position de collaboration en renforçant les organisations prolétaires dans la CGT. »

 

Exact, mais il ne faut pas toutefois confondre la radicalité dans l’action avec la radicalité dans les objectifs. Certains gauchistes prennent la lutte dure pour une lutte de classe et confondent par la même le syndicalisme qui  doit rester de masse et une école de lutte de classe avec la nécessaire organisation politique du prolétariat. Dans la CGT il nous faut développer et renforcer une orientation de lutte et non de collaboration avec le patronat et son État.

En conclusion

Dans l’activité de reconstruction du mouvement communiste nous ne partons pas de rien. Certes les organisations communistes sont aujourd’hui groupusculaires et dispersées, mais pas inexistantes. Si nous « accompagnons » les luttes (et il y en a constamment) en voulant les « radicaliser » on se trompe de tâches. Les cercles et organisations communistes doivent lier ces  luttes (comme tout évènement de la société) à la luttes politiques (cf notre projet de programme) — et là ce ne sont pas les syndicats (quelque soit la bonne volonté ou l’engagement des syndicalistes de  lutte) qui peuvent l’accomplir ; seul un travail politique quotidien et de fourmis dans et hors les syndicats peut le faire.

Bien sûr,  l’émiettement du mouvement communiste est un obstacle sérieux, c’est pourquoi il nous fait travailler à l’unité du mouvement communiste sur une ligne de lutte de classe. C’est même indispensable si nous voulons donner au mouvement syndical une juste orientation de lutte. Toute inversion : le syndicat, par exemple, venant avant le Parti a échoué dans l’histoire ; ou encore en prenant la radicalité de l’action syndicale pour de l’action politique révolutionnaire. Ce qui est un aspect de ce que nous appelons l’« anarcho-syndicalisme ».

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