22 novembre 2024

NIGER: Coup d’État réactionnaire ou Révolution ?

Par le Parti Communiste du Togo(membre de l’ICOR)

Il est indéniable que nous vivons aujourd’hui en Afrique de l’Ouest dans son ensemble c’est-à-dire depuis le Sahel jusqu’au Golfe de Guinée, une situation politique, économique et militaire inédite. Cette situation qui fait suite aux événements qui, actuellement, se déroulent dans les pays sahéliens (Burkina-Faso, Mali et le Niger) enjoint à tous les patriotes, démocrates et  révolutionnaires d’aiguiser leurs analyses pour être à même de conduire les masses populaires, y compris la classe ouvrière, à une victoire certaine sur les pouvoirs réactionnaires et leurs maîtres étrangers. Pour ce faire, pour pouvoir accomplir cette immense et noble tâche, il nous faut impérativement rompre avec le discours ambiant et les fausses conceptions qui souvent conduisent les masses populaires à adhérer aveuglément à un processus qu’elles n’ont jamais initié ni approuvé à travers leurs propres mobilisations ou organisations. Nous pensons plus particulièrement à ce sujet à cette euphorie générale que suscitent ces différents putschs dans certains milieux dit de gauche en Afrique et dans sa diaspora.

Pour les patriotes et les démocrates révolutionnaires, la manière la plus juste pour aborder cette question de putsch c’est-à-dire sur la base de la saisie correcte de la nature et du rôle des armées dans un véritable processus révolutionnaire; c’est de nous débarrasser des considérations sentimentales et morales. On sait bien que ces sentiments servent dans nos milieux à masquer dans les faits la nature de classe de l’État néo-colonial et de son instrument principal, l’armée. C’est en nous tenant avec rigueur dans une démarche d’analyse politique et de recherche historique que nous pouvons comprendre les circonstances dans lesquelles étaient apparues de force et dans le sang les armées néo-coloniales en Afrique et le rôle qu’elles jouent actuellement. C’est ce qui nous permettra de trouver de bonnes réponses aux questions qui s’imposent relativement à la situation, plus précisément:

  • Sur la nature de l’armée nigérienne et comment elle est constituée.
  • Sur les motivations de Tchiani, le chef de la junte.
  • Sur les véritables objectifs des putschistes.

Quelle est donc la nature de l’armée nigérienne et comment a-t-elle été constituée ?

Il va de soi que l’armée nigérienne, les FAN, ne sont nullement le résultat d’un processus lié à un développement historique interne à l’histoire politique et économique de ce territoire qu’on désigne aujourd’hui le Niger. Ce vaste territoire du Sahel est peuplé de diverses nationalités, communautés et peuples. Incontestablement, c’est le colonialisme français et la domination étrangère qui ont favorisé la naissance de l’armée nigérienne. Elle est donc par essence l’héritière des forces d’agression coloniale française Afrique occidentale (fin 19ème siècle) en Indochine en (1946-1954), en Algérie (1954-1962), au Sénégal (camp de Thiaroye – 1944). Madagascar (l’insurrection de 1947) et au Togo (1951-1957). Pendant cette période coloniale l’impérialisme français et son armée d’agression recrutaient massivement dans ses colonies notamment sur ce territoire du Sahel des cavaliers Haoussa, des Zarmas et des Touareg qui ensemble constituaient les troupes d’agressions coloniales qui sévissaient dans les colonies françaises de la Mauritanie à Djibouti en passant par Dakar, Brazzaville, L’Oubangui-Chari et surtout au Cameroun où tout un corps d’expéditionnaire fut lancé en 1956-1957 (une véritable chasse à l’homme) contre les nationalistes camerounais de l’UPC.

Depuis l’indépendance formelle du Niger en Août 1960, la France impérialiste se sentait bousculée par ses concurrents économiques anglo-saxons au Niger et dans ses autres néo-colonies. Cette situation l’a souvent conduite à créer le chaos afin d’affaiblir les forces impérialistes rivales dans la sous-région. Cette situation chaotique lui sert de levier pour sauver le système mafieux qu’elle avait mis en place dans ses anciennes colonies. Pour atteindre cet objectif, l’impérialisme français a un indispensable outil en main: les armées néo-coloniales qu’elle a créées de toute pièce; elle les a manipulées à sa guise comme le garant du néocolonialisme.

Dans le contexte nigérien, nous savons que les officiers français n’ont jamais quitté l’État major ainsi que la présidence ! Pour les besoins de la cause, l’impérialisme français a placé au sein de la garde présidentielle et à l’État-major plus de huit coopérants militaires français qui constituent l’ossature de deux structures distinctes notamment attaché de sécurité intérieure (ASI) -et le service de sécurité intérieure (SSI). Ces deux structures s’enchevêtrent dans leurs fonctionnements sur le terrain afin de protéger le pouvoir néo-colonial dirigé par ses laquais de service. En outre, ces dix dernières années, c’est sous la couverture de la lutte contre le terrorisme que  l’impérialisme américain -à son tour- commençait à former ses hommes de main au sein de l’armée  nigérienne. Et ce n’est pas un hasard qu’on retrouve au sein de l’État major des putschistes (CNSP), le général BARMOU et ses hommes qui ont été formés dans les écoles militaires aux États-Unis. Bien que la France considère les États-Unis comme un allié, néanmoins, les deux puissances impérialistes demeurent des rivaux qui s’affrontent pour le contrôle des Forces armées du Niger qui est un instrument servant à mettre la main sur les ressources naturelles et le pays.  

C’est la raison pour laquelle, les démocrates révolutionnaires ne cessent de répéter aux masses populaires et à la classe laborieuse que l’armée en tant qu’élément de la superstructure n’est pas neutre comme certains réformistes, révisionnistes voir des faux démocrates veulent le faire croire aux peuples en luttes en Afrique et au Niger en particulier. C’est une forme d’hypocrisie que de croire à une telle assertion sur la neutralité des armées néo-coloniales qui soi-disant interviennent en ce moment pour sauver nos États ! Cette analyse est une falsification de la réalité…  L’armée neutre garant des intérêts de la population n’a jamais existé… Se faire des illusions sur la neutralité des armées néo-coloniales (qui dans sa composition hétéroclite et truffée d’agents étrangers) peut entraîner des conséquences graves pour les masses populaires.

Sans nul doute, l’armée nigérienne dans sa forme actuelle est donc l’épine dorsale du système néo-colonial et un véritable instrument d’oppression au service de la bourgeoisie et du capital financier français ou américain. Ainsi, il apparaît clairement que la haute hiérarchie militaire nigérienne est historiquement liée, non seulement, aux milieux d’affaires nigériens mais également à la société nigérienne du pétrole (SONIDEP),   à la société de raffinage de Zinder (SORAZ) et aux différents trusts qui convoitent les ressources naturelles du pays. Cette armée néo-coloniale nigérienne (FAN) est devenue depuis les années 1969 à nos jours un instrument, un outil de répression entre les mains des monopoles et trusts français en l’occurrence la COGEMA plus tard AREVA-ORANO pour protéger, sécuriser à coup de canon la route de l’uranium contre les mouvements de libérations Touaregs d’obédience laïque. C’est ainsi que la hiérarchie de l’armée nigérienne y compris la fraction putschiste ont participé ouvertement à l’approvisionnement des centrales nucléaires françaises en Uranium et aux pillages systématiquement des ressources naturelles du Niger en prélevant directement à la source une partie du magot.

Quelle est la motivation de Tchiani en orchestrant ce coup d’État et qu’attendent-t-il des masses nigériennes ?

Aujourd’hui, cherchant désespérément l’adhésion des masses populaires, Tchiani et ses hommes dénoncent sur les médias (évidemment de manière opportuniste), la misère du peuple, le détournement des deniers publics, la corruption et le pillage du pays par l’impérialisme français qui était leurs alliées et complices. Cette dénonciation systématiquement de la France et de la corruption sur tous les toits vise à « exempter de peine » tous ces putschistes qui ont aussi participé à ce lugubre crime économique sous les précédents gouvernements. Cette volte-face et se retournement des putschistes est un véritable coup de maître de la bourgeoisie politico-militaire. Une perfide manœuvre qui actuellement sert à déstabiliser, à désarmer idéologiquement la jeunesse nigérienne et surtout les masses populaires dont le niveau de conscience politique et de classe est très faible par rapport aux enjeux de la lutte pour la démocratie. Après la chute de BAZOUM, une telle lutte démocratique suppose que les masses commencent à demander ouvertement des comptes à tous ceux qui, depuis des années, continuent de s’enrichir effrontément au détriment du peuple nigérien. C’est justement ce que veulent éviter les putschistes. Et c’est un fait que cette pernicieuse manœuvre des militaires formés par l’impérialisme français (dénonçant « après coup » les accords d’assujettissements signés entre le Niger et la France) fait que les citoyens lucides n’osent plus poser toutes ces questions «gênantes» sur le passé des putschistes qui (il y a quelques semaines) protégeaient d’une main de fer BAZOUM et ses affidés corrompus qu’ils venaient de chasser du pouvoir.

Les véritables objectifs des putschistes nigériens.

Pour terminer: l’armée nigérienne, bien qu’elle ait repris les revendications populaires en son compte, demeure, néanmoins, le principal pilier du pouvoir néo-colonial. L’objectif des putschistes ce n’est nullement l’instauration d’une authentique démocratie en rompant définitivement avec l’impérialisme international. En chassant du pouvoir le valet BAZOUM, l’objectif est avant tout une recomposition politique entre la bourgeoisie politico-militaire, la bourgeoisie libérale et la petite bourgeoisie radicale qui a été écartée, depuis un moment, de la chose publique. Cette recomposition politique ne peut-être qu’un renouvellement du personnels  politiques; celle-ci passera, comme d’habitude, par la mise en place «d’un dialogue politique» entre sœurs et frères de la même classe bourgeoise et «la formation d’un gouvernement d’union nationale» suivie «d’une transition dite démocratique».

L’autre objectif des putschistes c’est de diversifier les liens de dépendances du Niger avec d’autres puissances impérialistes telles que les États-Unis, (si besoin est) avec la Chine et/ou la Russie des oligarques qui dans cette âpre rivalité, et cette féroce concurrence économique, cherche par tous les moyens à prendre la place des vieux brigands impérialistes.

Dans cette situation n’est-il pas erroné que des militants qui se parent de titre ronflant de révolutionnaires voire de communistes tentent de faire croire que les masses nigériennes adhérent à une entreprise de putsch qu’elles n’ont ni conçue ni participé ? En effet, dans un pays doublement dominé comme le Niger, un putsch peut certes sembler aller dans le sens des aspirations du peuple puisqu’il répond apparemment à l’une des conditions du changement démocratique: l’éviction d’un autocrate et la d’échéance de son gouvernement. Mais ce coup d’État qui se limite à l’arrestation de BAZOUM et de ses collaborateurs ne changera rien dans l’organisation d’un système d’intérêts politiques, économiques et militaires qui a des ramifications à l’intérieur et à l’extérieur du Niger. Il suffit de voir les différents accords économiques et militaires signés avec la France, les États-Unis, la Chine et la Turquie. C’est ce même système d’oppression dont les véritables objectifs est de pérenniser l’exploitation des travailleurs nigériens et le pillage du pays. Dans les conditions actuelles où la mobilisation de la jeunesse est forte dans les rues de Niamey, rien ne peut empêcher un second putsch militaire au sein des putschistes pour mater définitivement la rue !

La mobilisation, l’organisation des peuples et la classe ouvrière constituent la seule solution pour en finir avec le néocolonialisme.

Par ailleurs, les partisans du coup d’État en alliance avec quelques « révolutionnaires du dimanche » ignorent foncièrement dans leurs analyses l’existence et le rôle de la classe ouvrière au Niger. Une classe ouvrière qui depuis trois semaines n’est toujours pas rentrée en action… Pourquoi ? Qu’en est-il donc de leurs responsabilités vis-à-vis de cette classe ouvrière ? La classe la plus disciplinée et la plus organisée à travers ses structures syndicales qui luttent contre les licenciements abusifs de AREVA-ORANO, contre l’exploitation éhontée des travailleurs et contre la pollution de l’environnement dans les mines d’Uranium et dans l’extraction du Pétrole.

Il est remarquable que c’est sous l’apparence d’une conception erronée sur la stratégie et la tactique de lutte révolutionnaire en Afrique, que les partisans du putsch et les « révolutionnaires » du dimanche approuvent délibérément les différents putschs dans le Sahel. Mais alors dans ce cas si la ligne putschiste demeure la finalité de la lutte révolutionnaire, on se demande pourquoi se sont-ils constitués en « Parti d’Avant-garde » ? Ou bien leurs « Partis d’Avant-garde » ont été créés pour la forme dans le seul but de rester à la remorque d’une bourgeoisie politico-militaire et de la petite bourgeoisie radicale adepte d’une ligne putschiste ? Indéniablement nous savons que ces putschistes ne disposent ni d’un programme de transformation démocratique ni d’une organisation politique capable de former et de drainer des femmes et des hommes (militants et cadres) qui constitueraient le socle d’une nouvelle société prête à défendre crânement la souveraineté du Niger.

Les mouvements révolutionnaires et communistes, de par le monde, ont toujours combattus le putsch comme un processus contre-révolutionnaire qui, par principe, empêche, non seulement, le développement d’une prise de conscience générale, mais aussi et surtout, la démolition du système néo-colonial et la conquête du pouvoir par des forces démocratiques, anti-impérialistes et prolétariennes.

Faire croire que les masses adhérent à une telle entreprise putschiste (sans tenir compte du niveau de conscience politique et organisationnelle faible, insuffisant de nos peuples en lutte) est une légèreté, une analyse qui manque de profondeur voire,  un acte de sabotage des luttes émancipatrice qui se déroulent en Afrique de l’Ouest, une région en effervescence où des organisations anti-impérialistes et des Partis communistes marxistes-léninistes (légaux ou illégaux) sont implantés depuis des décennies.

 

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