25 novembre 2024

Des minerais critiques pour qui et pour quoi ?

Derrière les beaux discours sur les besoins de minerais pour la transition énergétique, la loi européenne en cours de finalisation sur les matières premières critiques fait la part belle aux intérêts des géants des mines, de l’aéronautique et de l’armement. Une nouvelle étude de de l’Observatoire des multinationales avec Corporate Europe Observatory révèle le lobbying agressif des industriels pour influencer le contenu de cette législation, jusqu’à l’amener très loin des objectifs climatiques affichés de l’Europe.

La loi européenne sur les matières premières critiques (Critical Raw Materials Act ou CRMA), sur le point d’être adoptée à Bruxelles, est officiellement présentée comme une législation destinée à assurer notre transitions climatique. Mais une nouvelle étude publiée par l’Observatoire des multinationales (Paris) et Corporate Europe Observatory (Bruxelles), intitulée « Du sang sur le Green Deal », remet en question ces beaux discours verts.

Cette loi s’est en effet transformée en « open bar » pour les industriels, qui ont exercé un lobbying actif pour s’assurer que les métaux qui les intéressent bénéficieraient du même soutien public et des mêmes dérégulations environnementales que ceux qui sont réellement cruciaux pour la transition climatique.

L’étude montre comment les industriels de l’aéronautique et de l’armement, et leurs alliés au sein de la Commission et dans les capitales européennes, ont fait pression avec succès pour s’assurer que de nouvelles mines seraient bientôt ouvertes sans aucune assurance à ce qu’elles servent effectivement à la transition climatique et même avec de forts risques que les métaux extraits servent à fabriquer des armes.

Ils se sont notamment assurés que la liste officielle des minéraux critiques de l’UE inclurait bien l’aluminium et le titane, deux métaux essentiels à leurs intérêts mais d’une utilité limitée (surtout le titane) pour la transition climatique.

« L’exploitation minière est une activité intrinsèquement sale, en Europe comme ailleurs, rappelle Lora Verheecke de l’Observatoire des multinationales. Nous avons besoin d’une véritable discussion politique sur la consommation européenne de matières premières critiques, et sur quelles utilisations doivent être priorisées. L’industrie de l’armement ne devrait pas bénéficier de passe-droit en se cachant derrière la nécessité de la transition énergétique. »

Bram Vranken, chercheur au Corporate Europe Observatory et expert du lobby européen de la défense ajoute : « L’industrie de l’armement fait pression depuis des années pour obtenir un accès plus facile aux matières premières. Elle utilise aujourd’hui de manière opportuniste l’urgence climatique pour obtenir enfin les soutiens publics et les dérégulations environnementales qu’elle souhaitait. Au lieu de rendre notre économie plus verte, le CRMA risque surtout d’augmenter les profits d’une industrie impliquée dans l’exportation d’armes dans le monde entier. »

Principales conclusions :

  • Présentée officiellement comme une législation pro-climat, la loi européenne sur les matières premières critiques s’est transformée en « open bar » pour les industriels les plus polluants et les plus problématiques. Ils ont exercé un lobbying agressif pour s’assurer que les métaux qui les intéressent bénéficient du même soutien public et des mêmes dérégulations environnementales que ceux qui sont réellement utiles à la transition climatique.
  • Les entreprises et les lobbys des secteurs de la défense et de l’aéronautique, tels qu’Airbus, Safran ou l’ASD, ont été très actifs à toutes les étapes du processus d’examen de le CRMA, par le biais de rendez-vous avec les décideurs, d’événements et de groupes de travail parfois opaques.
  • Ils ont été activement soutenus dans leur lobbying par des alliés au sein même de la Commission, notamment le commissaire Thierry Breton et la DG DEFIS, ainsi que par des États membres comme la France et l’Espagne.
  • Les secteurs de la défense et de l’aérospatiale se sont notamment assurés que la liste officielle des minéraux critiques de l’UE inclurait bien l’aluminium et le titane, deux métaux essentiels pour eux mais d’une utilité limitée (surtout le titane) pour la transition climatique.
  • Les critères de classification des minerais « critiques » ont été assouplis, et il sera possible d’ajouter à l’avenir de nouveaux minerais à la liste « stratégique » sans examen public.
  • Le CRM Act ne contient aucune disposition permettant de discriminer entre les différentes utilisations des minerais dits « critiques » ni de donner la priorité aux utilisations « vertes » des métaux par rapport à celle de secteurs problématiques.

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