Alors que la direction du PKK (Parti des travailleurs Kurdes) rend les armes, il est important de savoir ce qu’en pense les marxistes-léninistes. Voilà ce qu’écrivait en mai 2025 les camarades du MLKP (membre de l’ICOR) dans leur revue théorique N°6
A propos de la dissolution du PKK
Suite à « l’appel pour la paix et une société démocratique » du dirigeant du peuple kurde Abdullah Öcalan, le 12ème congrès du PKK a été convoqué. Celui-ci a annoncé, après une guerre de guérilla professionnelle de 41 ans, l’abandon de la méthode de lutte armée, ainsi que la fin de ses 47 ans d’existence organisationnelle. La décision du PKK de se dissoudre, de mettre fin à la lutte armée et de déposer les armes n’est pas un événement ordinaire. Le PKK représente une réalité militaire, politique, idéologique et organisationnelle qui a laissé des traces profondes dans l’histoire de la Turquie, de l’ensemble du Kurdistan et de toute la région. Indépendamment des conséquences immédiates de ses décisions, ce congrès est un moment de rupture, un tournant dramatique d’importance historique. La convocation du 12e congrès du PKK et ses décisions sont désormais au cœur de l’agenda politique de la Turquie, du Kurdistan du Nord et de l’ensemble du Kurdistan.
Le contexte de la dissolution
L’initiative de déposer les armes et de dissoudre le PKK prise par son dirigeant Abdullah Öcalan est motivée par une impasse de plusieurs années entre le mouvement de libération kurde et l’État colonial turc. Malgré une lutte sacrificielle au cours de laquelle la guérilla de la liberté kurde a innové et révolutionné ses tactiques de combat et ses méthodes de travail, passant d’une forme de guérilla mobile à une sorte de guerre de position dans le sud du Kurdistan, ni notre peuple kurde n’a pu imposer pleinement ses revendications nationales et démocratiques, ni l’État n’a réussi à briser la volonté du PKK et du peuple kurde. Il en a résulté un état d’équilibre militaire qui se traduit depuis les années 1990 par un rapport de force instable et mouvant. Dans cet état, les deux parties ont cherché à obtenir des avantages militaires en s’alliant avec des autres forces, en affaiblissant l’autre partie et en améliorant leurs techniques de guerre et leurs capacités.
Cependant, depuis 2015, avec le plan d’extermination de l’État, initié par le massacre de Suruç, par l’attentat à la bombe à la gare d’Ankara, par le bombardement des Zones de Défense de Medya ainsi que par la fin abrupte des négociations de Dolmabahçe, l’État colonial turc a ouvertement escaladé la guerre coloniale contre-révolutionnaire dans le but d’anéantir le PKK, de briser la volonté de la guérilla, de liquider la révolution au Rojava et d’anéantir l’organisation démocratique du mouvement national ainsi que le mouvement révolutionnaire en général. L’initiative d’auto-dissolution du PKK et de changement de ses formes de lutte vise désormais à créer une nouvelle situation.
C’est une vérité théorique qu’une force stratégique qui modifie sa position amène également d’autres forces stratégiques à modifier leurs positions. Dans le cadre des lois de la lutte politique et de la dynamique du rapport de force entre les forces politiques adverses, ce processus objectif est en cours. La dissolution du PKK ainsi que la liquidation de la lutte armée et des forces de guérilla obligeront inévitablement l’État bourgeois turc à changer également de position.
Une autre motivation essentielle de l’appel d’Öcalan à l’auto-dissolution, que le PKK qualifie d’« initiative de la direction » et qui est, par essence, une initiative unilatérale, réside dans les récents développements au Moyen-Orient, qui apportent à la fois de nouvelles opportunités et des risques pour les peuples de la région. Les changements dans la région empêchent de plus en plus l’État colonial turc de poursuivre sa politique d’agression contre le Rojava. Cela s’explique d’une part par la perte de légitimité de la Turquie et d’autre part par la reconnaissance politique croissante de l’Administration autonome et démocratique du Nord et l’Est de la Syrie. Au vu des évolutions positives pour la nation kurde, on tente de faire certaines concessions afin de préserver et de développer les acquis au Rojava.
La réaction de l’État
Le 12e congrès du PKK a pour caractère de répondre aux conditions préalables de l’État, même si ce processus ne comporte aucune garantie de sécurité. Ainsi, les visites sur l’île-prison d’Imrali, après des années d’isolement absolu d’Abdullah Öcalan, ne signifient en aucun cas la fin de cet isolement. La décision du 12e Congrès de dissoudre le PKK et de mettre fin à la lutte armée a été accueillie avec des cris de joie dans les rangs du colonialisme turc. L’alliance fasciste au pouvoir, composée de l’AKP et du MHP sous Erdoğan et Bahçeli, s’est félicitée mutuellement comme si elle avait remporté une victoire historique. Özgür Özel et le CHP, parti démocratique bourgeois, se sont également félicités de cette évolution en prônant une « Turquie sans terreur ». En revanche, les branches racistes et chauvines du MHP, l’İYİP et le parti Zafer, assument le rôle de représentants des ambitions les plus sombres du colonialisme turc. Ils se positionnent en tant qu’opposants au processus afin de profiter politiquement des vestiges de la sale guerre.
Ce que l’État colonial turc prévoit maintenant, quels accords ont été conclus et quels engagements ont été pris ou quelles intentions sont poursuivies, reste peu clair. L’ensemble du processus est marqué par des incertitudes. Ce qui est clair en revanche, c’est que le PKK est déterminé dans sa quête de réconciliation avec l’État et qu’il est cohérent dans ses engagements. L’État colonial, quant à lui, se montre contradictoire et indécis. Des divergences d’opinion internes, des accents politiques différents, diverses considérations tactiques et des calculs de partis politiques se font jour. Il est toutefois indéniable qu’il n’y aura pas de démocratisation de la Turquie sous le gouvernement de l’AKP et du MHP. Ces fascistes méprisables sont hostiles à l’égalité des nations.
L’arrogance coloniale de la nation et de la classe dirigeantes turques se reflète dans les déclarations de l’Etat, qui suggèrent que l’Etat a réagi sans compromis et que le PKK a capitulé. La République de Turquie est un État colonial depuis 100 ans, et avant cela, c’était l’Empire ottoman, un État qui a duré 700 ans et qui a pillé une grande partie du monde. La bourgeoisie turque et ses partis négationnistes et colonialistes sont profondément marqués par cette tradition de domination. Ils mènent une guerre de morale contre notre peuple kurde. En fait, le mouvement national démocratique kurde, dirigé par le PKK, ne renonce pas, et l’Etat le sait.
La bourgeoisie revendique le monopole de la violence et des armes dans ses États. Elle considère ce monopole comme légitime et construit sur cette base son hégémonie idéologique sur les masses. En même temps, elle refuse à ses adversaires d’utiliser les mêmes moyens. La bourgeoisie turque ne fait pas exception à la règle. Dans toutes ses variantes politiques, elle a maintenu ce monopole de la violence et a réagi par la violence et les attaques idéologiques à toutes les formes de lutte. Elle a diffamé toute pratique de résistance violente par la démagogie de l’« anarchie » et de la « terreur » et a marqué la conscience sociale par le message que la résistance à l’État était inutile et que ceux qui s’y risquaient quand même seraient frappés par la poigne de fer de l’État. La définition étatique d’une « Turquie sans terreur » visera à l’avenir d’autant plus les forces révolutionnaires et communistes. Elle signifie une série continue de tentatives de démantèlement organisationnel et une nouvelle intensification du siège idéologique fasciste.
Les conséquences de l’auto-dissolution
Alors que les États bourgeois du monde et de la région s’arment pour se préparer à la possibilité croissante d’une nouvelle guerre mondiale, le désarmement du mouvement de libération nationale kurde pèse d’autant plus lourd. Il ne fait aucun doute que la fin de la lutte armée, le dépôt des armes, la dissolution du PKK, la fin de sa lutte illégale et clandestine ainsi que son intégration dans le système au pouvoir constituent une liquidation de la réalité révolutionnaire et du contenu révolutionnaire. Cette transformation liquidatrice et réformiste n’est pas survenue soudainement, mais a une longue histoire avec différentes étapes.
Le caractère liquidateur de ce processus ne se limite pas à la dissolution d’organisations et de méthodes de lutte révolutionnaires. Il libère des dynamiques liquidatrices plus profondes. Plus ce processus de restructuration du PKK se prolonge, plus il est probable que des phénomènes de décomposition idéologique, politique et organisationnelle se produisent.
Ce processus donne ainsi de l’élan au révolutionnisme légal limité. La stratégie visant à résoudre la question kurde « sans armes », « sur le sol de la Grande Assemblée nationale de Turquie », « dans le cadre de la légalité », est l’occasion d’approfondir le légalisme et le parlementarisme. Cela donne de l’élan non seulement au liquidationisme des forces bourgeoises, mais aussi aux forces réformistes, légalistes, opportunistes et social-chauvines de la gauche travailleuse. Il s’ensuit que le terrain idéologique de la lutte des classes va se renforcer au cours de cette étape historique. Les forces communistes révolutionnaires doivent mener cette lutte idéologique avec une conscience claire.
Ce moment de rupture historique est un nouveau test pour les forces révolutionnaires qui représentent la lutte armée et efficace contre le régime colonialiste-fasciste. Elles doivent se préparer au feu liquidateur des deux côtés, renforcer leur arsenal idéologique et élargir le terrain de la lutte idéologique et de la propagande aussi bien contre la ligne réformiste-parlementaire que contre les tendances chauvines, social-chauvines et nationalistes, et démontrer de toutes leurs forces la nécessité, la légitimité et aussi la possibilité de la lutte révolutionnaire.
Cependant, il est en même temps significatif que le mouvement démocratique national kurde mette l’accent sur une restructuration, et non sur une dissolution, et souligne la poursuite de la lutte sur le terrain qu’il a défini. Ce n’est pas seulement une question de respect pour cette vérité, mais aussi une question de stratégie révolutionnaire de ne pas ignorer cet aspect de l’évolution. Le PKK reste attaché à la pérennité de la lutte. Il est déterminé à se réconcilier avec l’État tout en s’efforçant de faire preuve de prudence et de circonspection, car il connaît très bien le colonialisme turc et l’État fasciste.
Les tâches de la révolution
Depuis le début des années 1990, lorsque la guerre de guérilla de 1984/85 a fusionné avec les soulèvements populaires (les serhildans), notre peuple kurde a levé le drapeau de la révolution en première ligne et est devenu l’avant-garde des peuples opprimés de la région. Alors que le feu de la réaction flambait ailleurs, le feu de la lutte révolutionnaire s’est enflammé au Kurdistan.
Avec la réorientation stratégique du PKK, qui ne signifie pas pour l’instant une résolution de la question kurde mais une transition vers une autre position de combat, la lutte pour les droits nationaux démocratiques de la nation kurde, son droit à l’autogestion et le droit de défendre son existence nationale comme toute autre nation, n’a rien perdu de son importance dans la lutte pour la liberté politique en Turquie. Les revendications telles que la reconnaissance de la langue kurde comme deuxième langue officielle et langue d’enseignement, la libération immédiate d’Öcalan et de tous et toutes les prisonnier·ère·s politiques ainsi que l’abrogation de la loi antiterroriste doivent continuer à être défendues. Il faut se battre pour une paix juste et démocratique, exiger la fin de l’occupation dans toutes les régions du Kurdistan, assurer la reconnaissance politique du Rojava, exiger une garantie constitutionnelle et légale des droits fondamentaux nationaux et abolir la loi antiterroriste fasciste. Tout cela est la tâche idéologique et politique de notre époque.
Le potentiel anticolonialiste, antifasciste, anti-impérialiste, de libération des femmes et démocratique du mouvement national-démocratique reste un élément de la stratégie de la révolution unifiée en Turquie. Il n’est pas encore possible de dire de manière définitive quels seront les changements concrets de cette coopération stratégique. Ses champs peuvent se déplacer, mais l’alliance stratégique entre le mouvement national-démocratique kurde et le mouvement révolutionnaire sur la base de la lutte pratique et légitime reste nécessaire et valable.
En même temps, ce processus ouvre la possibilité d’affaiblir le social-chauvinisme et de promouvoir la libre pensée des ouvrier·ère·s et des travailleur·euse·s de la Turquie en surmontant les conditions de guerre et la réorientation idéologique coloniale qui ont longtemps emprisonné leurs consciences. Le soulèvement antifasciste de masse du 19 mars et les mouvements de jeunesse pourraient avoir un impact important à cet égard.
Conformément à notre programme révolutionnaire, les revendications d’indépendance, d’autonomie et autres revendications nationales font toujours partie d’une solution complète de la question kurde. Nous défendons le droit à la libre union de deux républiques de deux nations et sommes convaincu·e·s que ce n’est que par cette voie que la question kurde peut être résolue et qu’une véritable fraternité entre les peuples peut être créée. Pour l’ensemble de la région, nous proposons une fédération de républiques populaires démocratiques et socialistes pour la pleine égalité et la liberté de toutes les nations.