Extrait de la revue théorique du MLKP (parti communiste ML turque-Kurde, membre de l’ICOR) du mois de mai 25 qui parlait d’un sujet très important : la confrontation sociale avec la masculinité.
Des mérites à l’article :
1) Les femmes sont doublement exploitées par le système patriarcal-capitaliste, mais elles ont également une puissance explosive deux fois plus grande, car elles s’efforcent de briser les deux systèmes d’oppression. La libération se réalisera sous la forme d’une double révolution, car la révolution prolétarienne et la révolution des femmes ne peuvent réussir qu’ensemble.
2) Tout homme communiste qui prétend faire partie du mouvement révolutionnaire doit comprendre que tant qu’il ne remettra pas en question sa propre domination masculine, il freinera la lutte commune plutôt que de la faire avancer. Les hommes communistes doivent franchir une nouvelle étape, devenir actifs, transformer leurs pensées en pratique politique et impliquer d’autres hommes dans ce processus. C’est seulement de cette manière que la nécessaire confrontation sociale avec la masculinité peut avoir lieu à un niveau plus large.
En France nous partons de nos expériences et connaissons mal la réalité turque et kurde. S’il est juste de se réinterroger sur les relations entre la Révolution prolétarienne et celle des femmes, nous avons quelques réserves car qui a le rôle dirigeant dans cette relation, le prolétariat (hommes et femmes) ou les femmes ? L’article de ce point de vue reste ambiguë. Les femmes ne sont pas une classe et le mouvement des femmes est interclassiste (mélangeant ouvrières, petites bourgeoisies, bourgeoisies). C’est pourquoi la question de la direction se pose ? C’est la question du programme de la révolution, de la stratégie et de la tactique. C‘est pourquoi nous écrivons dans notre projet de programme (partie E, point 9) : « Dans la lutte pour le socialisme, une lutte particulière pour la libération des femmes est nécessaire qui prend en compte le système d’exploitation et d’oppression particulier de la masse des femmes – pour leur véritable émancipation et contre leur discrimination. Les femmes prolétariennes doivent tendre à avoir le rôle dirigeant de l’ensemble des femmes dans la lutte, pour le socialisme. Pour sa libération le mouvement combatif des femmes a intérêt à se lier au mouvement ouvrier et vice versa. » .
De la confrontation sociale avec la masculinité
La question de la libération des femmes doit être un élément central de toute stratégie révolutionnaire aujourd’hui. Nous parlons du XXIe siècle comme du siècle des soulèvements de femmes, et cette évaluation s’est avérée vraie à de nombreux moments au cours des dernières années. L’exemple le plus marquant a été peut-être le soulèvement populaire en Iran, qui a commencé comme un révolte de femmes : des femmes qui se sont rebellées contre leur oppression systématique et ont lutté pour un changement fondamental. Elle a été déclenchée par le meurtre de la jeune femme kurde Jîna Amini par le régime fasciste et politco-islamique des mollahs. Les femmes qui ont déclenché le soulèvement ont compris que la violence patriarcale n’est pas un incident isolé, ni un accident tragique, et qu’elle ne peut être stoppée qu’en éliminant ses causes profondes, en renversant l’ensemble du système.
De tels soulèvements démontrent que la lutte des femmes a atteint un niveau révolutionnaire. Un soulèvement féminin peut marquer le début d’une situation révolutionnaire qui englobe l’ensemble de la société et peut constituer une réelle menace pour le système capitaliste-patriarcal. Les femmes, en tant que sujets politiques, possèdent le potentiel de réaliser de tels bouleversements révolutionnaires. Du fait de leur double oppression, elles nourrissent également un double désir de libération. Partout dans le monde, la conscience de genre se développe parmi les femmes qui se soulèvent contre l’injustice à laquelle elles sont confrontées. Cependant, nous constatons qu’aucun de ces soulèvements n’a abouti à une révolution réussie. Il existe certainement plusieurs raisons à cela, que chaque révolutionnaire devrait analyser en détail. Dans ce texte, nous nous concentrons toutefois sur le problème du soutien insuffisant des hommes communistes à la lutte de libération des femmes, délégitimant ainsi, consciemment ou inconsciemment, le potentiel qui réside dans le sujet politique qu’est la femme. Nous sommes convaincus que les hommes doivent également assumer une responsabilité active dans la question de la libération des femmes. Cela sera essentiel à la réussite de notre stratégie révolutionnaire. La confrontation sociale avec la masculinité joue ici un rôle pivot et constitue une méthode centrale pour les communistes masculins afin d’apporter leur contribution à la lutte de libération des femmes.
Pourquoi une confrontation sociale est-elle nécessaire ?
La contradiction croissante dans laquelle la femme prolétarienne est prise dans les conditions actuelles renferme en même temps le potentiel d’un changement révolutionnaire. Les femmes sont doublement exploitées par le système patriarcal-capitaliste, mais elles ont également une puissance explosive deux fois plus grande, car elles s’efforcent de briser les deux systèmes d’oppression. La libération se réalisera sous la forme d’une double révolution, car la révolution prolétarienne et la révolution des femmes ne peuvent réussir qu’ensemble. Cela exige, à son tour, premièrement, qu’une alliance stratégique soit créée entre les femmes et les hommes prolétaires, et deuxièmement, que nous commencions aujourd’hui à lutter activement contre l’oppression des femmes. Au cœur de cette lutte se trouvent les femmes, qui doivent être transformées en sujets politiques et en dirigeantes de la lutte pour leur propre libération. Cependant, la deuxième partie de l’alliance, les hommes prolétaires, ne peut pas se contenter d’un rôle de soutien passif. Ils doivent s’opposer activement à leur propre masculinité afin d’affaiblir la domination sociale masculine. Ils doivent être prêts à soutenir activement les luttes des femmes sans les dominer.
La gestion du génocide arménien est un exemple de l’histoire du mouvement de la gauche ouvrière turque qui illustre l’importance pour les oppresseurs, et nous considérons également les hommes prolétaires comme tels dans notre contexte, de se ranger du côté des opprimés. Le génocide arménien est l’un des plus grands crimes commis par l’État fasciste turc. Aujourd’hui encore, des tentatives sont menées pour effacer ce chapitre cruel de l’histoire et en effacer toute trace. Avec cette politique de déni, l’État a également eu longtemps du succès, de sorte que de larges masses de la population, y compris des parties en fait plus progressistes, ont défendu les mensonges de déni. Un tournant s’est produit après l’assassinat de l’Arménien Hrant Dink, qui a déclenché une vaste vague de protestations sous le slogan « Nous sommes tous Arméniens ». Il s’agissait également d’une forme de confrontation sociale qui a permis de remettre en question et de combattre le révisionnisme historique pratiqué par l’État et soutenu dans une certaine mesure par les masses.
Une reconnaissance similaire est nécessaire dans les relations entre les sexes. Dans la société actuelle, profondément imprégnée d’une mentalité patriarcale, les femmes sont blâmées pour les crimes qui leur arrivent ou ceux-ci ne sont pas reconnus comme tels. Dans le cas d’un viol, on demande comment la « victime » était habillée. Dans le cas d’un mari violent, on demande ce que la femme a fait pour le mettre en colère. Ce modèle se perpétue, et en même temps, la violence patriarcale prend des proportions de plus en plus débridées. Cette situation est encore renforcée par divers programmes misogynes, comme l’« Année de la famille » en Turquie. Le genre masculin a du mal à accepter son rôle d’agresseur et d’oppresseur. Les hommes essaient toujours de chercher une responsabilité au moins partiellement chez les femmes, se méfient d’elles et se sentent obligés de se solidariser avec d’autres hommes. Les hommes doivent reconnaître et comprendre leur rôle dans le système patriarcal-capitaliste. Il faut connaître la réalité pour pouvoir la changer.
Pourquoi les hommes communistes doivent-ils prendre les devants ?
Les hommes communistes doivent assumer une responsabilité particulière dans la lutte pour la libération des femmes, non pas malgré, mais précisément à cause de leur position au sein de la structure de pouvoir existante. En tant que partie la plus progressiste de leur genre, ils ont un rôle particulier à jouer non seulement lorsqu’il s’agit de critiquer les structures patriarcales, mais aussi de les surmonter activement. Tout homme communiste qui prétend faire partie du mouvement révolutionnaire doit comprendre que tant qu’il ne remettra pas en question sa propre domination masculine, il freinera la lutte commune plutôt que de la faire avancer.
La lutte pour la révolution des femmes est indissociable de celle pour la révolution prolétarienne. C’est pourquoi il est inévitable pour les hommes communistes d’apporter leur contribution concrète à la lutte de libération des femmes. Il ne suffit pas de s’instruire théoriquement ou de simplement réfléchir à son propre comportement. Les hommes communistes doivent franchir une nouvelle étape, devenir actifs, transformer leurs pensées en pratique politique et impliquer d’autres hommes dans ce processus. C’est seulement de cette manière que la nécessaire confrontation sociale avec la masculinité peut avoir lieu à un niveau plus large.
Le lien entre la lutte pour la libération des femmes et la classe ouvrière fait qu’il est impossible que la première reste la seule tâche des femmes. Il exige que les hommes communistes, qui prétendent changer cette société de fond en comble, assument des tâches sur ce terrain de lutte. Concrètement, cela signifie qu’ils doivent désapprendre les comportements sexistes, remettre en question de manière critique les espaces dominés par les hommes, ne pas tolérer les milieux sexistes, mais les politiser et les modifier. Ils ne doivent pas se cacher derrière un activisme symbolique, mais doivent s’opposer activement à la domination masculine quotidienne. Car la domination masculine n’est pas seulement une attaque contre les femmes, mais elle divise également le mouvement révolutionnaire et affaiblit la lutte des classes. Tout comme le chauvinisme social turc constitue un obstacle majeur à la solidarité entre les travailleur·euse·s turcs et kurdes, le chauvinisme masculin bloque également l’avancement collectif de la classe ouvrière. Lorsque les hommes communistes tolèrent un comportement dominé par les hommes dans leurs propres cercles, cela démontre non seulement leur propre faiblesse idéologique, mais affaiblit également la lutte pour la libération de la classe ouvrière.
Le travail concret sur la confrontation sociale au Rojava
Au Rojava, des communistes patriotes ont déjà acquis de précieuses expériences en commençant à confronter leur masculinité. Dans une région encore fortement influencée par les modes de pensée et les traditions féodales, cela représente naturellement un défi encore plus grand. Cependant, le Rojava est aussi le pays de la révolution et de la révolution des femmes. Pour préserver les acquis et poursuivre la révolution, la confrontation avec la masculinité est incontournable.
Les communistes patriotes ont commencé à développer des programmes éducatifs abordant la masculinité sociale, la domination masculine et les rôles de genre. Ces programmes ont clairement démontré que la masculinité n’est pas une condition naturelle, mais un système historiquement évolué et consciemment reproduit que nous, communistes de tous genres, devons combattre. La domination masculine s’est développée parallèlement à l’émergence de la propriété privée et, à ce jour, fait en sorte que la relation entre hommes et femmes n’est plus humaine, mais plutôt une relation d’esclave à maître. Les hommes ne considèrent pas les femmes comme des êtres humains égaux, mais comme des objets à posséder et à contrôler. De ce fait, les hommes se sont également aliénés de leur propre humanité.
Cette origine des relations actuelles entre les sexes a été abordée dans les différents cours de formation au Rojava. Toutefois, il ne s’agit pas seulement de comprendre l’histoire et la théorie, mais d’appliquer concrètement ces connaissances pour changer sa propre vie, son rapport à ses propres actions et aux femmes. Les autocritiques formulées à juste titre par les communistes et les patriotes masculins dans les programmes doivent être suivies d’actions visibles. Des méthodes concrètes pour lutter contre le comportement patriarcal ont également été discutées. En particulier, le thème de la violence domestique et de la violence masculine en général a été abordé en détail. La conclusion de ces premières discussions a été que la confrontation avec la masculinité sociale et les résultats qui en découleront seront des piliers importants pour consolider la révolution des femmes et toutes les conquêtes démocratiques.
