13 octobre 2024

Appréciation de la marche de 1983

Pour l’égalité des droits et contre le racisme.

Cet écrit n’a pas pour but d’idéaliser ou de noircir la marche de 1983 contre le racisme et l’égalité des droits, mais d’apprécier son contenu politique et son impact sur la société française. Un aspect que les littérateurs de la marche ont peu évoqué : elle servit au gouvernement socialiste de Mitterrand de diversion pour détourner les critiques sur son renoncement aux réformes promises en mai 1981 (plan de rigueur de mars 1983) et la montée des luttes et actions ouvrières contre le choix de faire payer le poids de la crise économique aux travailleurs.

Avant la marche, le pays connaissait une multiplication des actes et des crimes racistes et l’inaction des pouvoirs publics. La logique du « bouc-émissaire » imputant aux travailleurs immigrés la responsabilité des maux qui tourmentaient et tourmentent la société française battait son plein dans le monde des idées… s’ajoutait à ce climat « anti-arabe » la clémence des pouvoirs publics envers les fascistes et racistes d’auteurs d’actes et de crimes. La réponse contre cette situation vint des enfants d’immigrés dits de la 2e génération. Les jeunes de la banlieue lyonnaise (soutenu par un prête et un pasteur) décidèrent d’une marche pacifique comme celle qui avait eu lieu vingt ans auparavant aux États-Unis.

La marche partie de Marseille le 15 octobre 1983 (où quelques jours avant un jeune d’origine algérienne de 13 ans avait été assassiné pour des motifs racistes) rallie sept semaines plus tard la capitale du pays.  A chaque étape les marcheurs furent accueillis par des collectifs de soutiens (A Lille, ils furent reçus, entre autres, par la « Coordination immigrée » fédérant 5 associations de quartiers) et des municipalités socialistes et communistes. Tous les partis politiques de la gauche réformiste de l’époque (PS, PCF, MRG et PSU), les centrales syndicales et plus de 50 associations démocratiques apportèrent leur soutien à la marche et appelèrent la population à se joindre la manifestation nationale. La marche se termine en apothéose le samedi 3 décembre 1983. Outre cela, huit marcheurs (moitié français et moitié maghrébins) furent reçus par président de la République, François Mitterrand. Rencontre peu féconde puisqu’elle aboutit, en dehors des belles paroles, qu’à la carte de 10 ans, tandis que la proposition du droit de vote aux élections municipales pour les étrangers (sans droit d’éligibilité) est remise aux calendes grecques. Le droit de vote aux élections locales pour les résidents étrangers existait à l’époque en Irlande, Suède et Danemark.

En soutenant la marche, la France démocratique éduquée par le mouvement ouvrier et le socialisme s’est dressé contre la France impérialiste, anti-démocratique, anti-communiste et raciste. En septembre et octobre 1983, la droite noue une alliance électorale avec le Front National (parti fasciste) pour conquérir les villes de Dreux et d’Antony dirigée par le PS et le PCF. Les hommes de la droite dite républicaine Chirac, Giscard, Barre, Juppé et compagnies n’hésitaient pas à marcher avec le FN avec l’utilisation du racisme anti-arabe à des fins politiques. C’est seulement à partir de 1985, que Jacques Chirac, chef du RPR, annonce la consigne «il n’y aura aucune alliance avec l’extrême-droite, même au niveau local ». Position que n’a pas eu le PS, sous François Mitterrand, qui aida à la montée du FN pour affaiblir la droite.

La clique de Jean-Marie-Le-Pen auteur du slogan « La France aux Français » injuriait et isolait le plus qu’elle pouvait ces travailleurs étrangers de leurs frères de classe français. Elle s’ingéniait à les humilier et à les offenser grossièrement en leur attribuant les sobriquets les plus méprisants. C’est vrai que ces immigrés n’avaient pas la chance de naître avec les nobles privilèges de la « grande » nation française. Nation qui au nom du principe esclavagiste « du droit aux colonies », comme l’Angleterre, s’est taillée à coups de canons, de fusils, de triques et de corruptions un vaste empire colonial.  Majoritairement issus de cet empire colonial, ces travailleurs immigrés ne pouvaient cultiver le sentiment « du chauvinisme de grande puissance » justifiant le pillage et l’administrant aux peuples non européens.

L’humanisme bourgeois a une explication, idéaliste, du racisme ; c’est-à-dire qu’il le considère comme une idéologie existant depuis la nuit des temps. Ce qui est faux puisqu’il est né avec le capitalisme et pour ses besoins d’expansion coloniale. C’est la preuve que racisme n’est pas une forme du péché originel de hommes, mais à une cause matérielle résidant dans le système capitaliste fondé sur l’exploitation de l’homme par l’homme. Que chacun se remémore la controverse de Valladolid (1551) relative à la mise en esclavage ou non des populations indiennes, autochtones. C’était bien la preuve que pour assujettir les populations indiennes il fallait mettre les sous-humaniser pour leur enlever leur qualité humaine. Cette discussion à l’initiative de l’Église et de la royauté espagnole sur la qualité humaine ou non humaine des Indiens d’Amérique attestait bien que le racisme servait les buts de la colonisation espagnole du continent américain.

Après quoi, surgit l’idée que les Noirs d’Afrique devaient remplacer comme esclaves les Indiens « …qui ne résistaient pas aux durs traitements qui leur étaient infligés ». Ainsi, le racisme sert en quelque sorte de caution intellectuelle à l’oppression des « esclaves non-civilisés ». Seul le marxisme-léninisme a détruit sur le plan théorique et la politique pratique du racisme avec son principe internationaliste : « que tout peuple qui en opprime un autre ne saurait être un peuple libre ! ».

Un bref rappel historique est nécessaire pour mettre en relief le contexte d’avant la marche de 1983. Dans les années 60, 70 «la belle et noble » France fît venir des centaines des milliers de travailleurs immigrés pour reconstruire à moindre coût (bas prix) son économie d’après-guerre. Ces gens misérables, chassés de leurs pays par la misère et la faim, sont venus, à l’appel des capitalistes français, offrir leurs forces de travail dans les branches d’industries où les salaires sont les plus bas et les plus pénibles et vivants dans les quartiers les plus pauvres des plus grandes villes du pays et en butte au racisme.

Le patronat a établi une stratégie de division entre les travailleurs immigrés et français et montant les uns contre autres. Comme le raconte un grand patron au journal Le Monde du 4 décembre 1982, les patrons : « …ont voulu perpétuer un système d’apartheid en établissant une hiérarchie de leur personnel, correspondant d’ailleurs aux divers flux des travailleurs embauchés par strates successives. Au bas de l’échelle, il y a les Noirs et les Turcs, recrutés assez récemment, puis les Maghrébins. Les Yougoslaves, les Portugais, les Espagnoles et les Italiens viennent ensuite. Les réfugiés du sud-est asiatique tiennent, eux aussi, le haut du pavé, parce que mieux formés à leur arrivée aux yeux de la direction, professionnellement et… politiquement. Enfin, les Français, ouvriers professionnels, contremaîtres, « petits chefs » sortis du rang. C’était autant de catégories imperméables, le classique ‘diviser pour régner’ ». On ne saurait mieux dire ! Le patronat français sait que la privation des droits aux travailleurs étrangers entrave tout lien solide avec les travailleurs autochtones. Il est vrai que sur le terrain politique toute union entre eux est extrêmement difficile, pas impossible sur la base de l’égalité des droits, mais il en va pas de même sur le terrain économique, car ils subissent la même exploitation et portent les griefs et les mêmes revendications économiques et sociales.

Le PS soutenait d’une part les marcheurs et d’autre part il alimentait la division ouvrière avec des prises de positions concernant les grèves de l’automobile « montées » par des fanatiques chiites (sic.). En réponse on entendait ce cri de désespoir : « Il n’y a plus de bon « Beurs » et des Arabes, nous sommes tous des bougnoules ». On vit aussi fleurir le slogan « Front uni de l’immigration » comme substitut à l’unification de la classe ouvrière. Ces slogans de division ouvrière étaient favorisés par la mauvaise prise en compte des revendications spécifiques des travailleurs étrangers. Ces revendications spécifiques étaient et sont liés à la négation de l’égalité des droits. S’ils critiquèrent certains renoncements du PS, la plupart des marcheurs l’intégreront ou graviteront autour de lui. Pourtant, le passé colonial de la social-démocratie aurait dû les pousser à s’en démarquer ne serait-ce que par son attitude de « gérant loyal du capitalisme ».

Le PCF a aussi sa part de responsabilité dans cette situation. Il n’a pas pu ou su appliquer un rapport juste et conséquent envers les travailleurs immigrés. En abandonnant la recommandation de Lénine aux socialistes suisses relative à la lutte pour la naturalisation obligatoire des travailleurs étrangers (après 6 mois de présence sur le territoire) il ne pouvait tomber que dans l’humanisme petit-bourgeois. Lénine avait compris que la privation des droits aux travailleurs étrangers était non seulement un assujettissement et une aliénation, mais elle permettait à la bourgeoisie d’accroître la réaction politique afin d’affaiblir la solidarité internationale du prolétariat.

Bref, la marche de 1983 fût un événement dont le pays et le monde s’en firent un écho souvent positif. Cependant, son défaut majeur consistât à refuser de se démarquer de la social-démocratie d’une part, et d’autre part, elle manifesta le refus de se lier à la lutte émancipatrice de la classe ouvrière.

Lille, le 15 septembre 2023

Salah Sakhri

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