Avec l’ICOR nous disions qu’en 2022 la concurrence inter-impérialiste s’est fortement aggravée après 2020, notamment avec la nouvelle crise économique et financière mondiale qui a débuté en 2018. Alors qu’ils étaient auparavant la seule superpuissance, les États-Unis ont nettement reculé sur le plan économique et politique. La lutte concurrentielle entre les États-Unis et la Chine domine désormais de manière générale les contradictions inter-impérialistes.
Cette correspondance est utile car elle nous montre le rôle de boutefeu de la Grande-Bretagne loin des discours pacifistes du nouveau Roi. Elle montre la collaboration des Travaillistes et des bureaucraties syndicales avec la classe bourgeoise dirigeante et la véritable opposition de la gauche ouvrière et populaire. Enfin, on voit que la réponse de la classe dirigeante à la crise de valorisation du Capital est la même d’un côté comme de l’autre de la Manche : c’est la guerre.
La Grande-Bretagne dans la guerre
L’envoi de missiles de croisière Storm Shadow à l’Ukraine concerne les armes de plus longue portée jamais reçues par Kiev et confirme le rôle du Royaume-Uni en tant que provocateur en chef dans la guerre de l’OTAN contre la Russie.
L’armée ukrainienne est désormais capable non seulement de frapper la Crimée — la préoccupation centrale de la Russie dans la guerre — mais aussi de pénétrer profondément dans la Russie continentale. Elle reçoit ces armes à la veille d’une contre-offensive prévue de longue date contre les lignes russes.
À chaque étape de la guerre, la Grande-Bretagne a mené l’escalade de l’OTAN. Le secrétaire général Jens Stoltenberg a annoncé la semaine dernière que la guerre en Ukraine « n’a pas commencé en 2022. La guerre a commencé en 2014 ». Cela date le début du « plus grand renforcement de notre défense collective depuis la fin de la guerre froide » de l’OTAN au coup d’État de Maïdan parrainé par les États-Unis et les puissances européennes pour installer un régime antirusse à Kiev.
Ces événements ont conduit à l’annexion de la Crimée par la Russie et au déclenchement d’une guerre civile en Ukraine en raison de la séparation des régions de l’Est. La situation a été officiellement réglée par les accords de Minsk, présentés comme un effort de paix. En décembre dernier, l’ancienne chancelière allemande, Angela Merkel, a avoué qu’il ne s’agissait que d’une couverture « pour donner à l’Ukraine le temps… de devenir plus forte».
Dès lors, l’impérialisme britannique a joué un rôle central dans la mise en œuvre d’un programme conjoint de formation et d’équipement de l’armée ukrainienne.
Les préparatifs de guerre du Royaume-Uni
Dans le cadre de l’opération «Orbitale» lancée en 2015, la Grande-Bretagne avait déjà formé 22.000 soldats ukrainiens au cours des sept années qui ont précédé l’invasion russe. Depuis elle en a formé encore 14.000. Avant la guerre, des milliers de soldats britanniques ont été déployés en Europe de l’Est dans le cadre de missions permanentes ou d’exercices de combat à grande échelle de l’OTAN.
Le Royaume-Uni a joué un rôle central dans la posture agressive de l’OTAN, de la mer Baltique à la mer Noire. Les actions du Royaume-Uni ont été accompagnées de déclarations de personnalités militaires et politiques de premier plan qui ont clairement exprimé les intentions hostiles de la Grande-Bretagne à l’égard de la Russie.
En 2016, le ministre de la Défense, Michael Fallon, a déclaré à la commission parlementaire de la défense que le Royaume-Uni serait prêt à entrer en guerre avec la Russie d’ici 2018. Cette année-là, le chef d’état-major général Sir Nick Carter a déclaré que cela incluait «la projection d’une capacité terrestre sur des distances qui vont jusqu’à 2.000 km… on a copié ce qu’avaient très bien fait les Allemands en 1940». Carter faisait référence à la préparation par l’Allemagne nazie de l’opération Barbarossa — la guerre d’anéantissement de 1941 contre l’Union soviétique, reconnue comme la campagne militaire la plus brutale que l’histoire ait jamais connue.
L’examen intégré de la sécurité, de la défense, du développement et de la politique étrangère en 2021 a mis en garde contre la menace aiguë que représentent la Russie, la Chine, l’Iran et la Corée du Nord. L’examen a mis l’accent sur l’augmentation de 40 pour cent de la capacité des ogives nucléaires. Dans « La défense à l’ère de la concurrence », le ministère de la Défense a décrit la Russie comme «la plus grande menace nucléaire, militaire conventionnelle et de seuil inférieur pour la sécurité européenne».
Après le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022, un porte-parole du Premier ministre Boris Johnson a annoncé que le Royaume-Uni prenait des mesures « pour faire chuter le régime de Poutine ».
La Grande-Bretagne a fourni une aide militaire de 2,3 milliards de livres sterling à l’Ukraine en 2022 et s’est engagée à fournir le même montant en 2023. Des milliers de soldats britanniques ont été envoyés en Europe de l’Est pour participer à des exercices de l’OTAN impliquant des dizaines de milliers de soldats et des armes de pointe. Des troupes des forces spéciales britanniques ont été déployées en Ukraine, comme le confirment des fichiers du Pentagone ayant fait l’objet d’une fuite.
Depuis le début de la guerre, le Royaume-Uni a surtout joué le rôle de précurseur pour les États-Unis et les puissances européennes de l’OTAN. Il était le premier à fournir à l’Ukraine de nouvelles classes d’armes. Avant de fournir des missiles à longue portée, la Grande-Bretagne a également ouvert la voie et a fourni des chars de combat en envoyant un escadron de Challenger II. L’Allemagne a ensuite envoyé des chars Leopard et a permis aux autres pays d’envoyer ceux qui se trouvaient dans leurs arsenaux. Les États-Unis ont ensuite accepté la livraison de chars Abrams.
Quelques jours seulement après avoir confirmé l’envoi de Storm Shadows, également consenti par la France, le Royaume-Uni a profité d’une visite du président ukrainien Volodymyr Zelensky pour déclarer une « coalition de jets» qui vise à obtenir des avions de combat modernes F-16 pour l’Ukraine.
Le rôle de premier plan joué par la Grande-Bretagne dans la guerre — elle devance jusqu’à présent la France et l’Allemagne — est paradoxalement dû à sa faiblesse économique et géopolitique, qu’elle a cherché à compenser par une « relation spéciale » avec les États-Unis.
L’impérialisme britannique a participé en tant que partenaire principal à chacun de ces bains de sang. Le Royaume-Uni est depuis longtemps le principal allié de Washington en Europe. Mais depuis le Brexit, cette alliance a assumé un impératif toujours plus essentiel dans les efforts de l’impérialisme britannique pour projeter ses intérêts mondiaux. Imposé par Washington, le Brexit a fait perdre au Royaume-Uni sa place au sein de l’Union européenne en tant que principal défenseur des intérêts américains sur le continent. Notamment, le Royaume-Uni n’a plus pu s’opposer aux efforts allemands et français qui visent à construire une capacité militaire européenne indépendante de l’OTAN. Cela a nécessité un redoublement des efforts de Londres pour prouver son utilité à la Maison-Blanche et au Pentagone. L’impérialisme britannique, confronté à un effondrement sans précédent de sa position dans le monde, se rapproche le plus possible des États-Unis dans l’espoir d’obtenir une part du butin.
La cause la plus importante de l’inimitié anglo-russe au XXe siècle est la révolution d’Octobre 1917. La Grande-Bretagne a dirigé les armées alliées de l’intervention contre-révolutionnaire (mars 1918-octobre 1919) et a fourni plus de la moitié des troupes britanniques, américaines, italiennes, serbes, canadiennes et françaises impliquées.
Tout au long des années 1920 et 1930, la lutte des classes en Grande-Bretagne, notamment lors de la grève générale de 1926, et la menace permanente d’une révolution socialiste ont alimenté le féroce sentiment antirusse des cercles dirigeants.
Churchill, qui a donné au monde l’expression « rideau de fer » lors d’un discours prononcé à Fulton, dans le Missouri, en mars 1946, avait exhorté Washington à poursuivre la guerre après 1945 contre l’URSS.
Les travaillistes et les conservateurs : Un seul parti pour la guerre
Alors que la Grande-Bretagne se trouve entraînée au bord du gouffre de la guerre avec la Russie, on n’a pas eu de débat populaire sur les conséquences de cette guerre, surtout grâce à l’accord entier entre le parti conservateur et le parti travailliste. `Sir` Keir Starmer le dirigeant travailliste, dirige la moitié d’un parti unique et commun de la guerre qui siège des deux côtés de la Chambre des Communes.
Lors de leur dernière conférence, les délégués travaillistes ont adopté une motion présentée par le syndicat GMB appelant le parti à soutenir la fourniture d’une assistance militaire, économique, diplomatique et humanitaire à l’Ukraine, à soutenir une augmentation du financement de l’industrie de la défense britannique, à soutenir une stratégie à long terme pour «s’attaquer à Poutine et aux dictateurs dans le monde» et à soutenir une augmentation du financement de l’industrie de la défense britannique.
Les secrétaires fantômes aux affaires étrangères et à la défense du parti travailliste, David Lammy et John Healey, ont écrit dans le magazine Foreign Policy. « Le prochain gouvernement travailliste veillera à ce que la Grande-Bretagne soit la première nation européenne de l’OTAN. Nous appliquerons un “test OTAN” aux principaux projets de défense au cours de nos 100 premiers jours. Cela sera afin de nous assurer que nous sommes sur la bonne voie pour remplir pleinement nos obligations envers l’alliance et pour examiner les éventuelles lacunes en matière de capacités ».
La guerre et la lutte des classes
Le Royaume-Uni est avant tout poussé sur la voie de la guerre par des tensions sociales aiguës et une éruption de la lutte des classes à l’intérieur du pays.
La crise économique et les efforts de la Grande-Bretagne pour s’imposer sur la scène internationale exigent une offensive brutale contre la classe ouvrière. Il s’agit d’une réduction des salaires, de l’imposition de cadences accélérées et de la destruction des services sociaux dans le contexte de la plus grave crise du coût de la vie depuis la Seconde Guerre mondiale. À son tour, le militarisme et la guerre exigent des attaques toujours plus draconiennes. Le Royal United Services Institute salue «la fin des dividendes de la paix», de sorte que les dépenses militaires de la Grande-Bretagne doivent être prioritaires par rapport à «la part croissante de son revenu national consacrée au NHS et aux pensions de retraite de l’État ».
L’impact catastrophique s’abat sur une société déjà déchirée par des niveaux extrêmes d’inégalité sociale et de privation généralisée. Face à un mouvement d’opposition grandissant dans la classe ouvrière, la classe dirigeante britannique se tourne vers la guerre. Elle la voit comme moyen d’imposer une fausse “unité nationale”, avec des appels répétés au sacrifice de la part du gouvernement. C’est afin de justifier des hausses massives du prix du carburant, de la nourriture et d’autres produits de première nécessité .
Le résultat est une vague de grèves qui dure depuis l’été dernier, avec plus de 2,8 millions de jours perdus pendant les mois d’hiver. Il s’agit du chiffre le plus élevé depuis trois décennies, et plus d’un demi-million pour le seul mois de mars. Le sabotage et la trahison par la bureaucratie syndicale de la lutte des travailleurs du NHS, de l’éducation, des postes et des chemins de fer ont joué un rôle essentiel dans le maintien de l’opposition. Ces manœuvres traitres n’ont fait qu’affaiblir les dirigeants syndicaux aux yeux de millions de personnes. Mais le gouvernement s’oriente vers une répression étatique de plus en plus flagrante, comme en témoigne le nouveau projet de loi anti-grève sur les niveaux de services minimums, qui doit entrer en vigueur le 22 mai.
La politique de guerre de l’impérialisme britannique trouve sa seule opposition dans la classe ouvrière, dont les vies sont ruinées et qui se trouve, en cas de guerre, confrontée à la perspective d’une mort à une échelle inimaginable.
Bien qu’une énorme opposition existe à la guerre parmi les travailleurs britanniques, cette opposition manque de programme, de perspective et de direction. La tâche de la vraie gauche est de développer ces éléments au sein de la classe ouvrière et de son avant-garde, surtout la compréhension du lien inextricable entre la guerre à l’étranger et l’exploitation et la répression à l’intérieur du pays.
Ce n’est qu’avec cette perspective que les travailleurs et les jeunes au niveau international pourront lutter pour mettre fin à la folie de la guerre entre les grandes puissances impérialistes.
Correspondance (Mai 2023)
Très belle illustration de l’impérialisme qui n’a finalement pas de drapeau autre que celui du capitalisme !