Pour stimuler réflexion, débat et action révolutionnaires
Le monde globalement est entré dans une période de grand bouleversement social : des « printemps » arabes de 2011 jusqu’à aujourd’hui. La tendance à l’internationalisation du mouvement des gilets Jaunes depuis la France est une réponse à la politique d’austérité des gouvernements.
En France comme ailleurs le capitalisme fait porter la charge de sa crise par les couches populaires : Macron et son gouvernement continuent le démantèlement du Code du travail, imposent une baisse des salaires, des retraites et des indemnités de chômage, la sélection des étudiants à l’université etc Ils font des cadeaux aux monopoles.
Les longues luttes organisées depuis 2016 par certains syndicats contre la réforme du code du travail, la lutte des cheminots, des hôpitaux ont échoué ; mais elles ont entretenu un climat de contestation. La mobilisation relativement forte contre la guerre et contre Trump n’était pas surprenante, de même que celles pour le Climat et celle dernièrement contre les violences faites aux Femmes etc.
Les causes de la révolte sont profondes : l’exploitation à outrance des prolétaires et des petit-bourgeois, l’appauvrissement des familles et la misère notamment des femmes seules avec enfants, le chômage de masse, la précarisation large et croissante, l’injustice de la fiscalité bourgeoise qui pèse lourdement sur les « petits », la faillite des petits et moyens paysans, commerçants et artisans (coiffeurs, boulangers, café, tabac…), la fermeture des services publics, la pollution de l’environnement, la décadence, l’arrogance et l’hypocrisie de la morale bourgeoise. Tous ces faits sont l’expression de l’aggravation de la crise générale du système capitaliste mondial. Ici la ténacité des gilets jaunes, le soutien du peuple et la dénonciation des violences policières ont provoqué une crise politique ouverte.
Le raz-de-marée jaune sur les routes, les ronds-points et les rues des villes est un fait sans précédent. Environ 400 000 gilets jaunes se sont mobilisés, soutenus par des millions d’autres (70 – 85 % de la population). Quelques secteurs et entreprises en lutte ont mis en avant la question de la revalorisation des salaires directs et indirects (protection sociale, retraite, chômage). Depuis maintenant 2 mois un mouvement populaire large unit des couches sociales diverses et variées. Démarré sur un refus de taxes sur les carburants, il s’est élargi et rassemblé autour de 42 revendications où les questions de pouvoir d’achat, de « démocratie » et de justice sociale sont au premier rang.
Y ont pris part des salariés, fixes ou précaires, des retraités, des chômeurs, jusqu’à des petits artisans et très petits patrons (couches elles aussi attaquées par la politique gouvernementale). Les femmes touchées de près par la crise et la précarité ont joué un rôle déterminant dans le maintien et le développement du mouvement. Même si les gilets jaunes ont essaimé dans les banlieues des grandes agglomérations et dans le 93, la composante rurale des gilets jaunes est particulièrement forte.
Le mouvement des gilets jaunes est à la fois dans la continuité et différent : il s’est construit à l’aide des réseaux sociaux. 45 % d’entre eux manifestaient pour la première fois (femmes, jeunes) recherchant une expression indépendante des institutions étatiques, des partis de gouvernement et des syndicats (à l’exemple des « Nuits Debout »).
Une crise politique ouverte : Le gouvernement ne peut plus continuer son « train de réformes » comme avant. Il voulait faire « vite et fort » ; mais « maintenir le cap » de sa politique de plus en plus identifiée comme répondant aux intérêts du capital monopoliste, risque d’élargir et d’approfondir le mouvement. S’il recule sur les revendications les plus sociales, il remettrait en cause toute son économie politique. Il a du faire quelques concessions temporaires sur la CSG des retraités, la taxe diesel, les augmentations de gaz et d’électricité et une petite prime pour des Smicards (et pas pour tous !). Ces quelques miettes ont été refusées en bloc par les gilets jaunes. La seule option qui lui reste est de diviser et de réprimer le mouvement ou de partir… Même le LREM est en crise : 50 % de ses anciens électeurs soutiennent les Gilets Jaunes !
Les partis « d’opposition » ( parce qu’ils ne sont pas au gouvernement), LR et PS soutiennent plus ou moins ce mouvement « profond, légitime » – de leur point de vue, tout en partageant les réformes réactionnaires de Macron. Leur argument c’est de dire qu’ils veulent la paix sociale et que Macron met de l’huile sur le feu. Le RN (ex-Front national) le soutient modérément d’autant plus que son électorat soutient les GJ à 80, 90% ;mais Marine Le Pen ne veut pas d’augmentation du SMIC.
La France Insoumise et le PCF (70 ou 80 %) ont d’autres raisons : leur politique réformiste ne tient que s’ils gardent leur base sociale populaire. Ce n’est pas vraiment un soutien franc et déterminé.
C’est de la part de tous ces partis de la récupération opportuniste.
Les ultra-réactionnaires et fascistes existent bien sûr dans ce mouvement large, ils doivent être combattus. Mais le point de vue repoussoir de novembre comme quoi le mouvement serait sous influence et récupéré par le Rassemblement National (ex-FN), a disparu.
Les drapeaux tricolores français, la Marseillaise et les références à la Révolution de 1789… sont pour certains une expression du nationalisme et pour d’autres celle de la contestation de l’oligarchie, donc plus moins révolutionnaire. Derrière le drapeau n’y a-t-il pas l’opposition au « Roi » Macron, aux Rois de la finance, etc. Et la Marseillaise ? Elle est reprise comme un chant de révolution : « Aux armes citoyens, formez vos bataillons… »
Aux Champs Elysées se sont manifestés de petits groupes de royalistes, de fachos extraparlementaires, d’identitaires et aussi des criminels tout court. Le racisme, le chauvinisme étaient-ils plus importants que dans l’ensemble de la population, un racisme souvent lié à la concurrence entre petits commerces?
Du point de vue de la conscience, on a constaté depuis plusieurs années des évolutions fortes. Malgré une culture et un mode de pensée largement influencés par l’individualisme bourgeois jusque dans les formes de contestation sociale (suicides, délinquance, trafic de drogues, de « calmants »…) les masses se révoltent contre un système auquel elles peuvent de moins en moins s’identifier. La révolte contre le mépris pour « le peuple » affiché par le président et sa clique est le symbole de cette rupture du consensus de paix sociale. La violence de la classe dirigeante, longtemps dissimulée par les médias qui appellent au dialogue social comme nombre de directions syndicales, a éclaté au grand jour.
Les masses populaires rejettent le système du parlementarisme bourgeois et les institutions dites démocratiques ; en attestent les abstentions records chez les prolétaires. Et on vote plus contre que pour un Parti, ce qui a assuré la victoire de Macron en Mai 2017. La méfiance à l’égard des politiciens de tout bord (dans une moindre mesure pour ceux « qui tapent sur la table » (Le Pen, Mélanchon, Rufin par ex.) s’est traduite par la régression et l’éclatement des Partis bourgeois (PS, UMP,…) et petit-bourgeois (PCF et Front de Gauche). De nouvelles forces d’opposition se développent sur internet (des réseaux Facebook mais aussi des sites d’information comme Médiapart, Le Média TV, Anti-K etc.). On pourrait ajouter que les organisations et partis dits « d’extrême gauche » ont plutôt tendance à la stagnation.
Dans les syndicats, ça ne va pas mieux. Les effectifs d’adhérents baissent (650 000 à la CGT avec une baisse du nombre d’ouvriers par rapport aux employés de la fonction publique) sauf dans certains secteurs et entreprises en lutte où CGT et SUD se renforcent. FO se maintient dans les administrations. La CFDT est devenue plus que jamais le syndicat de collaboration de classe.
Quel est le « niveau de conscience » des Gilets Jaunes (GJ)?
L’aggravation des conditions de vie et de travail accumulée dans la mémoire collective a fait mûrir cette explosion sociale.
On observe un vif intérêt pour la discussion politique. La parole se libère ; on souhaite passer à l’action, ne plus rester seul enfermé dans la routine et l’abrutissement quotidien de l’exploitation.
1.Composé de diverses couches, les gilets jaunes sont traversés par des courants politiques contradictoires, comme l’expriment leurs 42 revendications. A coté des positions combatives et prolétariennes justes, l‘influence anarcho-syndicaliste en réaction au réformisme et le courant protestataire de droite en apparence « anti système » se conjuguent.
Leurs revendications sont principalement populaires voire même prolétariennes. Chez les gilets jaunes, il y a une distorsion entre leurs revendications sociales, leur rejet des dirigeants au pouvoir d’une part, et leur difficulté à penser le changement social nécessaire, la révolution socialiste, d’autre part. Ainsi s’exprime de façon certes encore vague la perspective d’une alliance de classe sous la direction du prolétariat (cf. notre Projet de Programme) contre le système du capitalisme monopoliste d’État.
Il y a cependant quelques revendications restrictives voire chauvines sur l’immigration : reconduite à la frontière, intégration contrainte qui nuisent carrément à l’unité avec les migrants… Mais pour l’essentiel, c’est un programme qui « va dans le bon sens ». Nous devons soutenir sa composante progressiste pour construire l’alternative politique révolutionnaire.
A propos du combat contre l’extrême droite présente parmi les gilets jaunes, nos camarades de l’Unité Communiste de Lyon ont raison de dire : « D’autres veulent détourner une colère juste et légitime vers des actions d’intolérance, de racisme et de division. Ils se prétendent les amis des travailleurs et des travailleuses, mais ne sont là que pour racoler pour leurs petites sectes. Les fascistes n’ont pas leur place ici. Les actes racistes, xénophobes, sexistes … doivent être combattus ! Quelques soient notre citoyenneté, notre origine, nous sommes la ligne de front contre le même exploiteur, le même ennemi ! »
2.Ce mouvement ne peut porter consciemment un projet politique propre. Toutefois il se politise de plus en plus en réclamant en masse la démission de Macron, un référendum d’initiative citoyenne (RIC), la proportionnelle… Avec le RIC les GJ espèrent, de façon contradictoire, d’une part une expression de démocratie directe et, d’autre part, que le gouvernement l’organise. Enfin, plusieurs regroupements de Gilets Jaunes parlent de s’organiser, de faire de la politique autrement à partir d’Assemblées Populaires et veulent présenter des candidats à l’occasion des élections européennes.
3. Tendance à la radicalisation – dans plusieurs sens. La colère des gilets jaunes s’est heurtée à l’appareil de répression de l’État. Ce déchaînement s’en prend aux symboles de la richesse bourgeoise et à l’État : attaque de banques, de magasins, de restos de luxe, d’hôtels particuliers etc. En province, blocage de raffineries, de ronds-points, de supermarchés, ouverture des péages d’autoroutes expriment aussi la volonté de bloquer l’économie. Le 1er décembre des préfectures, des centres d’impôts, des commissariats ont été attaqués et parfois brûlés sur différents points du territoire. A côté de groupes de pillards, les forces de l’ « ordre » ont été vues elles-mêmes faire de la casse pour discréditer le contenu revendicatif des manifestations. Images passées en boucle par les média.
Mais l’heure n’est pas à l’insurrection — c’est une illusion de l’« ultra-gauche ». En l’absence de Parti révolutionnaire l’insurrection conduirait à un échec assuré. Le prolétariat doit se réorganiser dans tous les domaines avant de passer à l’offensive. Déjà les Gilets Jaunes confrontés à la violence policière se radicalisent. Ce sont des expériences qui favorisent objectivement l’idée de la nécessaire violence révolutionnaire. « Marcher » sur l’Elysée, occuper la rue, refuser de se plier à l’ordre bourgeois est juste. Pour la première fois, certains gilets jaunes font leur première expérience de la violence d’État. A noter que les violences ne semblent pas avoir freiné le soutien. Au contraire, le fléchissement de l’intransigeance gouvernementale a légitimité la confrontation dans la rue. La stratégie de l’État de boucler la capitale pour éviter le déferlement de gilets jaunes a redonné une dynamique régionale à la mobilisation, épuisant encore un peu plus les hommes chargés de la répression. Quoiqu’il en soit, un grand mouvement d’intérêt pour la vie sociale et politique se développe.
4. La position des Gilets Jaunes par rapport à l’écologie va de l’indifférence à l’affirmation qu’il n’y a pas de contradiction entre le social et l’environnement, que les deux doivent être liés. Les prolétaires agissent déjà en faveur de l’écologie dans leur quotidien pour leur survie économique ! Certaines revendications se rapportent à l’environnement (grand plan d’isolation des logements, favoriser les transports collectifs, taxation des carburants maritimes et aériens, interdiction des délocalisations d’entreprise, développement de la recherche orientée vers des énergies moins polluantes etc.) A la Marche mondiale pour l’environnement le 8 décembre, des écologistes ont compris que ce sont les actions les plus radicales qui permettent de mieux se faire entendre du pouvoir. Dans certaines villes, la jonction a eu lieu entre gilets jaunes, organisations syndicales, politiques (PCF et FI), et collectifs pour le climat !
Vers la mi-décembre, de plus en plus de syndicalistes CGT, SUD et FSU en opposition parfois avec leurs directions confédérales ont pris position pour un soutien clair aux GJ. C’est un progrès significatif de la conscience de remettre en cause les compromis avec le capital qui cherche à faire payer sa crise aux travailleurs et à la nature.
5. Organisations et perspectives. Le mouvement des GJ est relativement hostile aux organisations syndicales considérées comme sources de division pour avoir soutenu, par exemple, les gouvernements précédents (comme celui de Hollande).
L’union du mouvement des Gilets Jaunes et des prolétaires industriels doit progresser vers la préparation de la grève politique (générale).
Partis bourgeois et « vieux engrenages » comme les négociations à l’Élysée sont rejetés. On veut que la base décide – « nous tous », c’est juste ! Les débats autour des délégués et porte-paroles par contre sont négatifs. On veut « se faire entendre » par l’action ! Mais la question de l’organisation des prolétaires n’avance pas !Des exemples dans l’histoire nous enseignent quelles formes pourraient prendre un pouvoir « populaire » : la Commune de Paris, première forme de dictature du prolétariat, a décidé contre la professionnalisation de la politique que les représentants du peuple étaient élus parmi les travailleurs, mandatés et contrôlés par la base, révocables à tout moment et ne gagnaient pas plus qu’un salaire ouvrier.
6. Dans les organisations populaires, une lutte de ligne existe sur le soutien au mouvement des gilets jaunes. Au début, la direction confédérale de la CGT comme FO ont louvoyé et trouvé des raisons pour empêcher les convergences (les Gilets Jaunes seraient « racistes, anti-syndicats », ce qui est vrai parfois). Martinez est allé à l’Élysée en pleine crise et a signé un appel au « dialogue social » avec les autres directions confédérales au lieu de préparer l’organisation des luttes ; c’est cela qui est important même si un appel à la grève peut ne pas avoir d’effet immédiat. En décembre le Comité Confédéral National de la CGT n’a pas préparé non plus un mouvement de grève. Mais de plus en plus de syndicats CGT et Solidaires souhaitent l’union voire rejoignent les GJ comme les Raffineurs CGT, les Cheminots parisiens, les ouvriers de Renault Flins, des UL , des UD, des Fédérations de la CGT et des SUD. Ils jouent légitimement de leur autonomie par rapport aux directions syndicales centrales qui traînent les pieds ou s’opposent de manière plus ou moins ouverte.
La CFDT est claire : elle soutient le gouvernement sous prétexte de dialogue social.
Et les tâches des marxistes-léninistes ?
Il faut être dans les luttes pour faire avancer la conscience de classe et organiser pour construire la perspective révolutionnaire avec un parti communiste de type nouveau.
Dans la situation de crise politique, le système est dans une situation de faiblesse et nous devons passer à une politique et tactique offensive. Nous devons soutenir le mouvement de toutes nos forces tout en critiquant ses positions erronées.
– Nous ne sommes pas dans une période d’effervescence révolutionnaire vu l’état des organisations du prolétariat et encore moins à la veille de l’insurrection. Nous sommes encore dans une période de situation non révolutionnaire où cependant des progrès de la conscience apparaissent, des aspirations plus claires à un authentique changement, des exigences plus élevées vis à vis des organisations politiques et des organisations des masses par elles-mêmes comme les syndicats.
- organiser et participer à des actions de soutien, organiser des débats avec nos contacts, promouvoir l’auto organisation, l’unité des prolétaires et de leurs organisations, contre le parlementarisme et le gouvernement ; dénoncer le caractère de classe de l’État, montrer le caractère international des problèmes, la nécessité de la révolution et de la prise du pouvoir ; rappeler les réussites du socialisme réel en Chine et en URSS – pour armer les consciences contre le capitalisme, l’ennemi commun des peuples du monde.
- Tenons compte des attentes, des refus et des contradictions du mouvement, défendons notre perspective socialiste qui exige un parti de type nouveau !
- Nous y renforçons le pôle prolétarien (ses revendications prolétariennes et populaires) et combattons les idées fausses.
- Faisons connaître la déclaration de l’ICOR Europe (Coordination internationale des organisations et partis révolutionnaires).
- Travailler à l’unité des marxistes-léninistes – les solliciter pour une déclaration et action commune (selon les forces)
Annexe :
Nos analyses depuis 2016 ont-elles été validées par les mouvements et les luttes jusqu’à aujourd’hui ? Nous disons que oui et nous renvoyons nos lecteurs à notre analyse des luttes de 2016 contre la Loi Travail, notamment au point 6 sur les perspectives :
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