21 novembre 2024

Entretien avec Houssem Hablani, porte parole du PPDS Tunisien (Parti des Patriotes Démocrates Socialistes, une organisation marxiste léniniste tunisienne, membre de l’ICOR).

Tunisie, nouvelle crise sociale et politique, 10 ans après le «printemps arabe».

En Tunisie, la crise économique et politique s’est aggravée. Les prix des aliments de base ont doublé ou triplé: semoule, farine, huile, légumes et fruits. Plusieurs vagues de licenciements dans l’industrie ont accru la pauvreté et la misère des travailleurs tunisiens.

Les jeunes tunisiens des quartiers populaires sont descendus dans la rue avec colère. Si les émeutes nocturnes semblaient s’être apaisées ces derniers jours, elles ont repris de plus belle après la mort d’un jeune homme, Haykel Rachdi, de Sbeïta. Il a été touché à la tête par une grenade lacrymogène lors d’une manifestation le 19 janvier. Selon plusieurs témoins, la police l’a délibérément abattu. Depuis la mi-janvier, une répression brutale a été menée contre les manifestants. Avec plus de 600 arrestations en 4 jours, des arrestations violentes et des tirs de balles en caoutchouc, le gouvernement tente d’étouffer dans l’œuf une inévitable mobilisation.

L’impérialisme français n’a pas hésité à apporter un soutien logistique et policier pour réduire les protestations : pas moins de 60 engins anti-émeute ont été envoyés cette semaine de Marseille. L’impérialisme français agit également pour ses propres intérêts économiques en Tunisie et dans la région en général. Cela rappelle qu’en 2011 la ministre française de l’Intérieur, Michelle Alliot-Marie, a offert au dictateur Ben Ali «le savoir-faire français» pour le maintien de l’ordre.

Solidarité avec les luttes du peuple tunisien!

UPML


Entretien avec Houssem Hablani, porte parole du PPDS Tunisien (Parti des Patriotes Démocrates Socialistes, organisation marxiste léniniste tunisienne, membre de l’ICOR). 
(Les questions ont été posée par le Rassemblement Communiste) Votre analyse politique affirme que le processus révolutionnaire qui se déroule en Tunisie suit plusieurs phases depuis les années 80 : Comment inscrivez-vous les soulèvements populaires ces derniers jours dans ce processus ? Houssem Hablani: La révolution est tout un processus progressif qui commence par l’émeute et le soulèvement jusqu’à arriver à la révolution qui transforme entièrement la société. Sachant bien sûr qu’on peut avoir plusieurs soulèvements sans pourtant parler d’une révolution. Comme dans le cas tunisien. La Tunisie vit depuis les années 70 du siècle précédent jusqu’aujourd’hui dans un long parcours révolutionnaire, malheureusement il n’a pas abouti à un vrai bouleversement social en faveur du socialisme, mais, l’expérience politique que le peuple a accumulé est extrêmement importante. Le peuple est sorti le 26 janvier 1978 pour dire NON à la politique répressive et policière du régime bourguibien, puis ce fut le soulèvement du 03 janvier 1984  contre la hausse des prix des produits alimentaires, ensuite, les soulèvements dans le bassin minier à Gafsa en 2008, et en 2011 le soulèvement le plus avancé, qui a eu comme résultat un bouleversement politique menant à la fuite de Ben Ali et un changement de régime politique de présidentiel à parlementaire, pour plus de liberté politique. Mais ce changement était loin d’installer la vraie justice transitionnelle qui se base sur la liberté et la dignité et sur le développement économique et social. Cette nouvelle machine politique depuis 2011, gérée par les obscurantistes, les islamistes, n’a fait que poursuivre la même politique d’injustice contre le peuple, ce qui a engendré plus d’appauvrissement et de misère. Cela a attisé le soulèvement populaire encore une fois, qui s’inscrit bel et bien dans ce qu’on appelle le processus révolutionnaire. Que répondez-vous aux médias officiels qui répètent depuis le début des affrontements qu’il s’agit de bandits et de terroristes ? HH: Certes, toutes les politiques du système d’aujourd’hui incriminent les soulèvements populaires. Les dirigeants vont, à travers les médias qui collaborent, accuser les jeunes qui protestent de bandits et de terroristes. Mais nous connaissons cette politique qu’on a pensé finie avec l’ancien régime. Notre parti a participé aux protestations et nous soutenons fortement la jeunesse révoltée, et au contraire de plusieurs partis du centre et de la droite, nous avons insisté sur le fait que même si on vole ou on casse pendant la révolte, ce sont les actes de ceux qu’on a trop longtemps méprisé et appauvri, ces jeunes sont les victimes du régime corrompu et mafieux. Toutefois, notre rôle en tant que révolutionnaires et intelligentsia est d’augmenter la conscience de ces jeunes révoltés et de les orienter pour qu’ils ne soient plus des victimes passives et pour les protéger contre toutes sortes de manipulations quelles qu’elles soient, et enfin les guider sur le chemin de la révolution. Il y a sans doute un lien direct entre ces soulèvements populaires et les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire qui sévissent depuis des mois en Tunisie, avec l’étincelle du couvre-feu décrété pendant la célébration des 10 ans de la révolte populaire qui a fait tomber le dictateur Ben Ali : Quel est le contexte social et économique qui conduit à la situation actuelle ? Quelle est la place des puissances impérialistes, dont la France, dans cette crise ? HH: Depuis 2011, la Tunisie et son peuple subissaient toutes sortes de violations, car ceux qui ont pris la place de l’ancien régime ont été pires que leurs prédécesseurs : ils ont trouvé un pays fortement épuisé, et au lieu de le reconstruire ils l’ont détruit. En effet, il n’y a pas de soulèvement sans raisons et sans motifs ; l’injustice sociale, les politiques non patriotiques, la corruption, les inégalités, et plusieurs autres causes, sont à la base de ces révoltes populaires. Outre la pauvreté, on est obligé de subir les conséquences néfastes du COVID19 qu’on était capable de surmonter, si ce n’est les décisions arbitraires prises par la mafia politique et commerciale qui pensaient investir dans l’épidémie au lieu de fournir l’infrastructure sanitaire et monétaire pour lutter contre ce fléau. Comment donc un peuple qui témoigne de ces politiques d’exploitation atroce peut supporter un couvre feu qui ne fait qu’augmenter ses malheurs ! Concernant la place des puissances impérialistes, notamment la France en Tunisie, on le sait très bien, et on est conscient de cette intervention obscène, et qu’un pays semi colonisé comme le nôtre ne peut être qu’un terrain fertile pour les grandes puissances occidentales pour y piller les richesses et exploiter la main d’œuvre locale. En fait, la dernière période difficile sur le plan sanitaire et économique nous a dévoilé le vrai visage de l’impérialisme qui ne considère pas la santé humaine : il y a l’Italie qui nous envoie ses ordures, il y a la France qui épuise notre terre et notre classe ouvrière (les usines françaises qui n’ont pas appliqué les règles du confinement, ce qui a augmenté la contamination), Les USA qui nous envoient des fourgons pour faire face au soulèvement populaire… Je dirais que s’il y a un fléau plus mortel que la Coronavirus, c’est bien l’impérialisme. La période ouvre t-elle une possibilité de recomposition pour les forces révolutionnaires tunisiennes et de préparer l’avenir ? HH: Nous gardons toujours l’espoir en tant que révolutionnaires, dans la coalition des forces patriotiques  démocratiques et toute la gauche,  et dans l’avenir aussi. Car effectivement notre parti a présenté depuis son dernier congrès du 28/29/30 août 2020 tout un programme de coalition des partis patriotes démocrates qui sera elle-même un appel à la reconstruction d’un front populaire porteur d’une nouvelle vision et qui réunira démocratiquement toute les forces de la gauche révolutionnaire. Je ne vous cache pas qu’un tel processus peut prendre du temps bien qu’on se soit mis d’accord avec plusieurs partis pour organiser des évènements de protestations et de soutien au peuple révolté : ça marche, en fait, et on espère améliorer l’entente pour atteindre notre but, qui est la construction de la plus grande coalition de gauche pour renverser le régime actuel et bâtir l’avenir qui sera l’indépendance totale et le socialisme.

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