20 avril 2024

Salauds de pauvres : le fantasme du Président

Paru dans regards.fr 2020-10-22

Mercredi 14 octobre, à la 40ème minute d’une interview télévisée qui en a duré 45, Le président de la République a été interrogé sur l’aggravation de la pauvreté et sur la demande faite par beaucoup d’augmenter le RSA et d’en élargir l’attribution aux moins de 25 ans sans ressources. Emmanuel Macron a alors déclaré : « Je tiens à une chose, c’est qu’on ne perde pas nos fondamentaux. Nos fondamentaux, c’est la lutte contre la pauvreté par le retour à l’activité et le travail. Et plus on augmente de manière unilatérale tous nos minimas sociaux (et on ne les rabaisse jamais après), plus on rend difficile le retour à l’activité. C’est ce qu’on a constaté. Et c’est pour cela que j’assume d’avoir il y a quelques mois, massivement et historiquement augmenté la prime d’activité de 100 euros par mois. Et donc je préfère cette aide exceptionnelle massive, comparable à ce qu’on a fait au printemps, plutôt qu’une transformation de nos minima sociaux ».

C’est ce qu’a expliqué l’économiste Michael Zemmour, maître de conférences à l’Université Paris Panthéon Sorbonne, chercheur à Sciences Po, lors d’une table ronde du Printemps des Économistes qui s’est déroulé virtuellement du 13 au 16 octobre : « Le Président a expliqué qu’on n’allait pas revaloriser le RSA parce que cela nuirait à l’insertion. C’est une question qui s’est beaucoup posée. C’est une théorie économique très en vogue depuis 15 ou 20 ans. J’ai regardé encore cela hier. Il n’y a aucune étude qui permet de justifier cela. C’est quand même un problème parce qu’il s’agit de personnes en très grandes difficultés sociales et financières en période de crise et où en plus l’emploi est rare. Et on justifie cela par un phénomène économique que nul n’a constaté. On dit : « On ne va pas augmenter votre aide mais c’est pour votre bien », mais ce n’est pas le cas »….

Et au contraire, les études abondent pour montrer que le RSA n’a pas permis de réduire significativement et durablement la pauvreté. Celle-ci a même réaugmenté dès 2018. Il est évidemment très difficile de démontrer que son augmentation ou son niveau ont nui à la reprise de l’activité, puisqu’il est très bas (564,78€ maximum par mois, pour une personne seule 847,17€ pour un couple et au maximum 1186,04€ pour un couple avec 2 enfants à charge) et qu’il augmente très peu (+ 0,9% en 2020). Depuis la création du RMI en 1994, et sa transformation en RSA en 2006, il n’a en fait augmenté plus vite que les prix qu’entre 2012 et 2017 et de façon très modeste.

Bien entendu aucun impact sur le taux de paresse supposé des pauvres n’a pu être constaté.

Selon le sociologue Nicolas Duvoux, professeur à l’Université Paris 8, « les travaux concordent pour souligner plusieurs choses : les gains monétaires à la reprise d’un emploi ne sont pas décisifs dans les comportements des allocataires du RSA. Ces derniers ont envie de sortir des minima sociaux bien plus pour retrouver une dignité et une participation à la vie sociale que pour gagner un peu plus ».

Et tout montre que ce qui manque ce sont les emplois, pas la volonté de les occuper. Avant même l’épidémie et l’effondrement des petits boulots et des activités non salariées et des activités partielles, 30% des emplois à temps partiels étaient subis et non souhaités. La prime d’activité est sans doute incitative à l’emploi, mais elle n’est pas du salaire, si bien qu’elle a « l’avantage » pour les employeurs de désinciter à l’augmentation des bas salaires, et elle a pour effet pervers d’amplifier la perte de revenu à la suite d’un licenciement. Elle n’est pas comptée dans l’indemnité chômage et on n’y a plus droit quand on perd son travail. L’universitaire Muriel Pucci en a établi le constat : « La prime d’activité amplifie la perte de revenu à la suite d’un licenciement ». Et c’est ce qui se passe massivement depuis le confinement et qui menace de rebondir avec le nouveau choc sanitaire et économique.

« Remarquablement mal protégés »

Au total, expose Michael Zemmour, durant le confinement, « la France a très bien protégé l’essentiel de sa population avec le chômage et l’activité partiels. Mais les personnes qui n’étaient pas dans un emploi stable ou avec des revenus stables ont été remarquablement mal protégés. C’est cela qu’on a vu dans le confinement, et qui va continuer de s’aggraver. C’est-à-dire des personnes qui ne sont pas dans un emploi stable, qui vont arriver en fin de droit au chômage et qui n’ont même pas accès au RSA, comme les jeunes ».

« L’aide exceptionnelle massive » accordée au printemps, dont le Président s’auto- congratule à la façon de son collègue des États-Unis, a été terriblement insuffisante. Comme sa duplication, à l’automne, le sera tout autant.

Trois mesures d’urgences doivent impérativement être prises pour empêcher le déferlement de la pauvreté : le RSA devrait être revalorisé de façon substantielle ; les jeunes devrait y être intégré de plein droit ; la protection de l’assurance chômage ne doit pas être restreinte mais étendue. Du fait de l’attentat terroriste de l’enseignant Samuel Paty, le Premier ministre Jean Castex a reporté l’annonce de mesures de lutte contre la pauvreté qu’il devait faire ce samedi 17 octobre. Mais nul n’espère y voir figurer ne serait-ce que l’une de ces trois mesures.

Selon le Baromètre de la pauvreté réalisé par l’Ipsos 2020 pour le Secours populaire au début du mois de septembre, 57% des Français ont peur de basculer dans la pauvreté. Un pourcentage en hausse de 3 points sur l’année précédente, mais qui dépasse la barre des 50% depuis 2007.

Le Président et le gouvernement n’ont pas l’air de s’en inquiéter. Comme s’ils avaient au contraire décidé de faire avec et de surfer sur la peur de devenir pauvre et la culpabilité de le rester.