Hommage à Aziz Menebhi
Cher camarade de lutte, tu nous as quittés le 23 août dernier. C’est à l’occasion des révoltes populaires en 2011 dans le monde arabo-berbère que nos chemins s’étaient croisés avec d’autres camarades français et marocains.
Toute ta vie, tu as incarné la ténacité et la fidélité aux idées communistes internationalistes, tu as été pour tes camarades un exemple de courage et de dignité. Tu inspirais confiance et espoir. Et malgré ton parcours exemplaire, chacun se sentait ton égal et pouvait discuter fraternellement avec toi.
Dans ton témoignage bouleversant Crimes, mensonges, trahisons… et résistances, publié cette année, tu as terminé ton livre par cette réflexion inspirée d’un proverbe indien :
« On ne vous demande pas de faire des miracles. On vous demande simplement de laisser quelque chose derrière vous. Un arbre, s’il ne donne pas de fruit, fera au moins de l’ombre pour s’abriter de la canicule. »
Tu fus précisément cet arbre : à la fois généreux en fruits et protecteur par ton ombre.
Porté dans ta jeunesse par la vague révolutionnaire des années 1960-1970 — Vietnam, Cuba, Palestine, Révolution culturelle chinoise — tu t’es construit en opposition à l’idéologie religieuse obscurantiste qui, au Maroc, étouffe particulièrement la jeunesse et les femmes. Tu es devenu la voix des luttes étudiantes, au sein desquelles le courant marxiste-léniniste a formé des milliers de militantes et militants acquis à la cause du communisme.
Comme beaucoup de jeunes révolutionnaires de ta génération, tu as fait tes premières armes, entre 1969 et 1971, au sein du Parti communiste marocain, déjà gagné au révisionnisme. Mais ce parti, devenu monarchiste, ne pouvait te convenir. En 1972, tu cofondas avec Zeroual et Balafrej Ilal-Amam (« En Avant »), la première organisation marxiste-léniniste du Maroc. La même année, tu fus élu président de l’Union nationale des Étudiants du Maroc (UNEM) lors de son 15ᵉ congrès. La montée en puissance du Mouvement des Étudiants marocains et la constitution du Front Uni des Étudiants Progressistes inquiétèrent si fortement le pouvoir que la répression s’abattit aussitôt : le syndicat étudiant fut interdit de 1973 à 1978 et toi, avec nombre de tes camarades, tu as subi une répression féroce.
À l’avant-poste du combat contre la monarchie, la bourgeoisie compradore et l’impérialisme, tu as payé personnellement le prix fort. Enlevé en janvier 1973 et porté disparu jusqu’en février 1974, tu as enduré tortures et humiliations dans les sinistres centres de détention de la police politique, les « jardins secrets du Roi ». Pourtant, face à la barbarie de tes geôliers, tu ne cédas jamais : fidèle à tes idéaux, tu as poursuivi ton engagement. Emprisonné jusqu’en août 1977, jugé puis « acquitté » cette même année, tu t’es ensuite exilé en France, où tu es resté jusqu’en 1994 pour recevoir les soins indispensables et tenter de réparer une santé durablement affectée par la torture.
Nombre de tes camarades n’eurent pas la même chance et périrent dans les geôles du soi-disant « Commandant des croyants ». Parmi eux, en 1977, ta propre sœur, Saïda Menebhi, martyre marxiste-léniniste, succomba à la torture et à une grève de la faim. Saïda mourut digne, en combattante, aux côtés de ses sœurs marocaines prolétaires, emprisonnées, humiliées, méprisées. Sa disparition laissa chez toi une blessure immense.
En 2017 à Marrakech, la Maison de Saïda a été inaugurée afin de prolonger son œuvre féministe, conçue initialement comme un centre d’accueil pour femmes battues et enfants abandonnés, un lieu de culture, de formation et d’accompagnement juridique et médical pour les plus démunies. Pas de libération de la femme marocaine sans libération de la société capitaliste patriarcale. Mais sa transformation en centre culturel mondain par l’une de tes sœurs a dénaturé l’esprit de Saïda : celui d’une révolutionnaire communiste, internationaliste, antisioniste, profondément liée aux femmes du peuple.
Ton engagement, à toi, est toujours resté du côté des exploités et des opprimés. Tu n’as jamais toléré ni l’opportunisme réformiste, ni les compromis avec le pouvoir autoritaire, ni les volte-face de la gauche marocaine. Grâce au travail théorique et à la lutte idéologique menée par les militants « basistes » de l’UNEM, des milliers de jeunes ont été formés à la lutte des classes et ont contribué aux combats populaires : contre la vie chère, contre le chômage, aux côtés des mineurs, des paysans, et dans les révoltes du Rif…
Malgré la répression et le reflux révolutionnaire des années 1980 jusqu’à aujourd’hui, tu es resté une figure centrale du maintien des liens entre communistes, et tu as joué un rôle décisif dans les débats pour reconstruire l’unité des marxistes-léninistes au Maroc et tracer une voie pour la lutte révolutionnaire.
En France, tu as participé à l’organisation du réseau de Solidarité avec le Peuple Marocain à Rezé et aux Fêtes de l’Humanité à la Courneuve et à Saint-Nazaire avec la diaspora marxiste-léniniste marocaine. Tu as contribué à sensibiliser concrètement le grand public aux crimes du régime néocolonial fasciste de Mohamed VI. À chaque fois, ces manifestations furent l’occasion de rappeler la situation des prisonniers politiques et les atteintes aux droits de l’homme au Maroc et… au Sahara Occidental.
Internationaliste, tu fus aussi de tous les combats solidaires : avec les peuples opprimés du monde entier, contre le chauvinisme marocain, et en particulier contre la « Marche verte » d’annexion du Sahara occidental par l’État marocain en 1975. Jusqu’à aujourd’hui, tes camarades poursuivent ce combat en dénonçant l’expansionnisme maroco-sioniste et ses alliés — Macron, Trump, Netanyahou — bloc impérialiste criminel fauteur de guerre et de génocide.
Ceux qui t’ont connu ont gardé l’image d’un homme profondément humain : fraternel, amical, patient, drôle, attentif aux contradictions mais intransigeant sur les principes. Tu as inspiré confiance dans la victoire. Et ta persévérance et ta foi en l’avenir ont été une flamme qui a réchauffé nos cœurs.
Après plus de 50 ans de lutte contre le capital, la monarchie et la maladie qui ne t’ont jamais vraiment lâché depuis ta sortie de prison, tu vis à présent dans nos cœurs : tu es cet arbre fructueux qui nous a insufflé espoir et confiance en l’avenir.
Vive Aziz Menebhi !
Vive le communisme !
Un camarade marxiste-léniniste nantais, 28/08/2025