Lors de nos vacances, nous avons pu rendre visite aux paysans dans le sud-est de la Tunisie, dans le village d’Ouled Jeballah, qui depuis un an et demi font la Une des médias. Ils nous montrent des photos du printemps 2021. Des cartouches de gaz lacrymogène traînent sur le bitume, et la route qui mène à la bourgade reste bloquée par des barrages de pierres et de voitures, ce qui empêche les camions de lait et autre de passer. Dans ce village de 5 000 habitants de la région du Sahel, des dizaines d’éleveurs bovins manifestent contre la hausse des prix des denrées alimentaires pour le bétail.
« Le gouvernement dit vouloir négocier, mais finalement, nous avons repris le mouvement depuis trois jours puisque rien n’a été fait », explique Bilel El Mechri, porte-parole de la coordination des agriculteurs d’Ouled Jaballah. « Si la police revient nous arroser de gaz, cette fois on se défendra avec des lance-pierres. Nos protestations sont légitimes », disent les paysans en lutte.
Effectivement, la misère saute aux yeux : étables misérables, vaches maigres parce que sous-nourries, des enfants qui ne peuvent pas aller à l’école faute de moyens. Une paysanne nous accueille chaleureusement et nous confie : « Soit je nourris mes enfants ou les vaches. Nous avons dû vendre une grande partie du troupeau, faute de moyens pour vivre. Un de mes fils est déjà parti pour l’Europe. Je vais moi aussi migrer avec toute la famille ! » Impressionnés et le cœur serré, nous partagerons le pain avec l’huile d’olive chaleureusement offerts par nos hôtes. Un paysan constate : « Ici, il n’y a rien pour les jeunes, ils n’ont aucun espoir. »
Les familles accusent les fabricants d’aliments pour le bétail. Leurs prix ont presque triplés en 10 ans alors que le prix du litre de lait, fixé et subventionné par l’Etat, varie très peu, 1,25 dinar (correspondant à 40 centimes). Les paysans travaillent à perte ! Le problème est chronique. La Tunisie importe tous les aliments destinés aux bêtes et n’a élaboré aucune stratégie de développement des cultures de fourrage ou de pâturages.
« Chacun se fait une marge sur notre dos »
L’agriculture et la pêche représentent près de 15 % des emplois tunisiens et 10 % du PIB. Le pays est connu pour sa production d’huile d’olive, dont les exportations ont été très dynamiques ces dernières années. Mais l’élevage représente la plus grosse part de ce secteur qui s’est montré résistant lors des multiples crises politiques et économiques de la dernière décennie. Pourtant, les difficultés sont bien là.
« Pour alimenter le bétail, le seul groupe qui importe du soja en Tunisie le distribue ensuite à trois grands monopoles, qui composent le mélange vitaminé et protéiné et l’Etat soutient ces groupes industriels avec leurs prix monopolistes. Nous, les petits agriculteurs, nous sommes en bas de la chaîne, avec des intermédiaires qui pratiquent leurs propres prix. Chacun se fait une marge sur notre dos et nous sommes perdant », explique Bilel El Mechri.
Des succès partiels et des perspectives
Mais les paysans ont développé leur lutte à un niveau supérieur, ils cherchent l’union avec les pêcheurs et les ouvriers. En 2022, une usine de lait a été bloquée à Mahdia avec le soutien des 1000 salariés. L’action a obtenu un succès partiel : la dernière augmentation des prix des aliments du bétail a dû être annulée.
Les petits paysans de plusieurs localités en Tunisie s’organisent en coordination locale et à Ouled Jeballah, ils aimeraient fonder une coopérative, mais il faut des moyens et des formations pour cela.
Notre délégation était composée de représentants de diverses organisations militantes internationales, dont l’UPML. Nous parlons de l’impérialisme français qui pille toujours de manière néo-coloniale la Tunisie et qui exploite et opprime les prolétaires et qui ruine les petits paysans en France également. Une affiche, qui vient de l’ICOR, résume notre position internationaliste « Pour le droit de se réfugier – solidarité avec les luttes révolutionnaires de libération. » Nous votons une résolution qui affirme notre soutien et l’intérêt pour unir nos luttes contre les monopoles et l’impérialisme. Nous resterons en contact et nous disons au revoir avec la chanson qui réclame « Nous voulons le pain et les roses ».